Barbet Schroeder, raconteur d’histoires

Sept ans après Inju, Barbet Schroeder revient aux affaires avec une œuvre qui évoque ses débuts. Réalisé à Ibiza dans la maison de sa mère, qui a accueilli il y a plus de quarante-cinq ans le tournage de More, son premier film, Amnesia débute comme l’histoire toute simple d’un jeune DJ allemand qui se lie d’amitié avec une de ses compatriotes, vivant en recluse sur l’île depuis des années. Mais, comme souvent chez le cinéaste, les relations entre les personnages sont beaucoup plus complexes et la douce chronique édénique cache en elle un drame troublant sur la mémoire et la responsabilité. L’histoire de ce tournage est aussi passionnante que le film lui-même.

Quand on lui demande en préambule si revenir sur les lieux de tournage de son premier film est une façon de boucler la boucle, Barbet Schroeder donne l’essence de son cinéma : « J’ai tourné dans un endroit familier, parce que je pense que c’est bien que les cinéastes parlent de ce qu’ils connaissent. C’était ce qu’on pensait du cinéma américain. On savait que, quand Howard Hawks parlait de courses de voitures ou d’avions, il le faisait aussi dans la vie ».

Photos : Laurent koffel

De fait, le cinéaste est connu depuis toujours pour sa préparation méticuleuse. Il évoque aussi bien les répétions, qu’il a pu, chose assez rare, effectuer sur les lieux mêmes du tournage, lui permettant d’envisager sa future mise en scène et son travail avec deux musiciens qui vivent depuis 20 ans à Ibiza, pour créer l’environnement du personnage de Jo, jeune DJ au début des années 1990. Mais la part la plus imposante de son travail concerne l’histoire impressionnante du scénario. Le projet naît en 2000, lorsqu’il achève le tournage de La Vierge des tueurs, et la première phase d’écriture se fait avec Peter F. Steinbach, scénariste du premier Heimat, « un des plus grands films du monde ». Seulement, la trop grande lenteur d’un travail rigoureux, mais dont Schroeder ne voit plus la fin, l’amène à collaborer ensuite avec Emilie Bickerton, auteur notamment d’une Brève histoire des Cahiers, et Susan Hoffman, qu’il nomme son indispensable « story person », complice de toute sa période hollywoodienne, capable d’améliorer ses histoires.

Elles l’aideront à mettre en place ce récit aux multiples couches, où le personnage incarné par Marthe Keller évoque d’une façon la mère du cinéaste, mais aussi le regard que les Allemands portent sur leur propre histoire. Et la révélation, finalement, d’une vérité cachée, qui, du Mystère Von Bülow à L’Avocat de la terreur, irrigue intensément son cinéma.