La Montagne

Vues d’en haut par Thomas Salvador

Auteur, réalisateur et interprète de son deuxième long-métrage La Montagne, Thomas Salvador commente quatre photos de son périple en altitude, lancé à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise en mai dernier, et aujourd’hui dans les salles.

La Montagne
La Montagne de Thomas Salvador. Copyright Le Pacte.

Tente sous la neige

 

« C’est mon plan préféré. Je suis acteur dans mes films et je joue peu. J’écris de sorte à ne pas avoir grand-chose à jouer, que ce soit des ellipses, des dispositifs ou des situations qui créent la psychologie et la dramaturgie. Là, c’était début juillet. On était partis faire des repérages en se disant qu’on allait quand même tourner. On a pris la caméra, il faisait beau partout, mais on s’est retrouvés dans le brouillard et il s’est mis à neiger. Alors, on a sorti la tente, et comme je rêvais qu’on sente la variété de la montagne, qu’il peut faire froid, faire chaud, que ça fond et que ça regèle, ça tombait à pic. Le tournage se passait bien, mais il y avait des gens qui parlaient. J’ai fait la gueule et je m’en suis servi pour jouer. Dans ce plan, ça me rend très lointain. C’est au moment où le personnage essaie de retrouver les lueurs qu’il a vues dans la montagne. Il l’arpente de haut en bas, et là, c’est un temps de pause. Il mange sa soupe de manière mécanique. Il n’a pas lâché l’affaire et il va continuer, même dans la neige. Juste après, il repart et on le revoit grimper. Avec ma monteuse Mathilde Muyard, on adore ce plan, alors que je suis très critique en général ; il n’était pas prévu, mais il raconte beaucoup de choses. Le soir, quand on est redescendus à Chamonix, les gens ne croyaient pas qu’on avait eu de la neige. Tout le monde s’était chopé des coups de soleil ! »

 

La Montagne
La Montagne de Thomas Salvador. Copyright Le Pacte.

Louise Bourgoin – Léa

 

« Elle aime bien cette photo. Je suis tellement heureux qu’elle ait accepté de faire le film. Elle qui n’a jamais fait de ski de sa vie et qui n’est jamais allée en montagne ! Elle a donc découvert comment avancer dans la neige avec des raquettes. Et surtout, elle a accepté les conditions de tournage, avec un décor où il fallait marcher parfois deux heures et demie en montée. Il faisait froid, il n’y avait pas de loge, elle portait son sac, son matériel. On était six dans l’équipe, sans accessoiriste, scripte, perchman ou habilleur. Elle a vraiment joué le jeu. Je la trouve géniale dans la série Hippocrate. Quand elle est dans l’action, même quand elle marche, qu’elle a un cahier dans les mains ou qu’elle prend des notes, elle est très précise et incarnée. Je ne vois pas l’actrice qui montre qu’elle sait bien faire les gestes. Je me suis dit qu’elle était idéale pour jouer une cuisinière, même si on ne la voit pas cuisiner, et aussi une alpiniste, mais ça, on le découvre plus tard. Elle ne cherche pas à montrer, ce qui concourt au réalisme, à cette sensation et à cette évidence que les choses sont là où elles sont, tout comme il y a le non-spectaculaire¸ dans des décors pourtant lointains et un peu dangereux. On a vraiment travaillé ce hors-champ, car le film est peu bavard. Les spectateurs voient en Léa beaucoup plus que ce qu’on a voulu y mettre, et je suis très touché de découvrir sa richesse. Je pense qu’avec son personnage, on se raconte un passif, et peut-être aussi un drame et un attachement très fort à la montagne. Quand on la découvre, elle est de dos. Elle regarde le décor pendant sa pause de travail. Tout cela est un peu subliminal, impressionniste. »

 

La Montagne
La Montagne de Thomas Salvador. Copyright Le Pacte.

Le bras lumineux

 

« Il y a une dimension fantastique dans La Montagne. Dans cette image, l’élément fantastique est la main qui brille. Il y a aussi ce visage apaisé. Je n’arrivais pas à jouer davantage la surprise, mais je me suis fié à mon instinct, et je me suis dit que, le film étant une trajectoire, le personnage ressent un appel, une évidence, quelque chose de très profond. Le peu de réaction qu’il a renforce cette évidence. Cela aurait été idiot de surjouer la surprise. Au contraire, cela se fait en douceur. J’ai compris cela après coup, au montage. Dans mes courts-métrages aussi, il y a une dimension fantastique, mais je ne me l’étais jamais formulé. Je fais des films qui sont très proches de moi. C’est pour cela que j’y joue, que j’ai besoin de les faire pour comprendre des choses, et pour grandir. Je suis de nature très pudique, mais le cinéma, particulièrement fantastique, me permet de dire des choses très intimes avec ce prisme, et de recréer une distance. Cela peut susciter une impression d’intimité pour le spectateur, avec très peu de dialogues et d’explications. La magie du cinéma est de faire traverser des moments fondamentaux au public, mais aussi, par le rire, l’image, le son, la sensation, de parler politique, ontologie, ou rapport à la nature et au vivant. Je préfère les films qui s’adressent à mes sensations et sur lesquels je peux ensuite revenir et théoriser, à ceux qui me disent ce que je dois penser. Je suis ravi de voir que le public ressent fortement La Montagne, et fait des références à la mythologie, à la religion ou à la psychanalyse, auxquelles je ne pense pas du tout quand j’écris, mais qui me semblent justes quand on me le dit. »

 

La Montagne
La Montagne de Thomas Salvador. Copyright Le Pacte.

Coucher de soleil sur le glacier

 

« Cette image est emblématique du film. Elle m’évoque une forme de sérénité dans un environnement magnifique, mais très hostile. Le personnage fuit quelque chose de la société, et beaucoup de gens ont fait ce mouvement après les confinements. Il va dans une sorte d’adversité qui lui fait aussi trouver quelque chose d’essentiel. C’est un plan plein de psychologie, mais il n’y a rien à dire. Le protagoniste a les mains dans les poches, il regarde au loin et il est au-dessus d’une mer de nuages. Comment mieux dire de quoi parle le film avec des mots ? C’est emblématique de mon approche et de comment je travaille par le fantastique, par la mise en scène, par le son, pour connecter le spectateur à l’intériorité des personnages, avec une économie narrative. C’était un soir où on allait filmer la séquence de nuit dans la tente. On aurait pu le faire en studio, mais on tournait vraiment à 3800 mètres. Il y avait une lumière magnifique, avant que la nuit tombe. J’ai dit au chef-op de filmer, et j’ai improvisé. Il y a de nombreux plans improvisés dans La Montagne, comme celui où un nuage me monte dessus. C’est aussi lié au dispositif, à savoir avoir du temps. Je savais dès le début qu’il ne fallait pas aborder la montagne en conquérant, mais qu’il fallait se laisser inviter, et accepter qu’elle nous guide. »

 

Propos recueillis par Olivier Pélisson