Rencontre avec Omar Marwan

L’ADN d’Omar Marwan

Il apparaît pour la première fois au cinéma, dans le rôle d’un vieil homme qui va disparaître. Apparition, disparition, mais absolue révélation dans ADN de Maïwenn : à 73 ans, Omar Marwan réalise son rêve de jeunesse, depuis longtemps abandonné, de faire du cinéma. Il fait ses débuts dans le rôle d’un vieil homme venu d’Algérie, dont la mort plonge une famille dans le deuil et les déchirements. BANDE À PART a voulu connaître son ADN et a rencontré un homme lumineux, à la mélancolie douce.

Comment êtes-vous arrivé dans le cinéma de Maïwenn ?

Par hasard, en sortant d’une pharmacie : j’ai vu une annonce sur une gouttière : « Cherche comédien d’un certain âge ». Je suis allé au casting, il y avait quelques personnes de mon âge, on a déblatéré sur le fait d’avoir une petite-fille franco-algérienne et comment on la nommerait, Jacqueline ou Samia ? Je n’avais quasiment rien à dire, ce n’était pas la question, mais j’ai proposé : « Et si on l’appelait Loulou ? ». Cela a tellement surpris qu’ils m’ont choisi !

On ne vous connaît pas. Omar,…

[Il nous coupe, souriant] Je suis très discret !

Omar Marwan dans ADN de Maïwenn / Copyright Malgosia ABRAMOWSKA
…le vieil homme du film, est originaire d’Alger. Et vous ?

Ma famille vient d’Alger et j’y ai vécu jusqu’à mes 19 ans. Je suis parti en France parce que je voulais faire une école de cinéma. Mais il fallait bien manger, alors j’ai fait des petits boulots à droite à gauche, et il n’y a pas eu d’école de cinéma, mais du théâtre le soir, après le travail.

Vous aviez totalement renoncé au cinéma, jusqu’à ADN ?

Comme il fallait que je travaille, je ne pouvais pas me permettre d’aller courir les castings ; je n’en avais vraiment pas les moyens. J’ai travaillé, j’ai fini par trouver un boulot dans la pub qui payait très bien. J’ai bien tourné dans quelques courts-métrages, mais ADN est mon premier long-métrage. J’espère qu’il y en aura d’autres, je suis disponible, et si je ne cherche pas spécifiquement à en faire, j’aimerais retrouver le plaisir irremplaçable du plateau de tournage.

Quels sont vos liens avec l'Algérie?

L’Algérie représente mon enfance, mon adolescence, mes premiers amours. Ce n’est pas rien. J’ai eu une famille qui m’a poussé à faire ce que je voulais. Ils n’attendaient rien de moi, mais moi, je voulais me prouver quelque chose, et je ne voulais pas les décevoir. Après être parti en France, je n’ai pas voulu revenir en Algérie avec une valise vide.
 

Omar Marwan / Photo : Laurent Koffel
Vous retournez souvent à Alger?

Non, malheureusement. J’y suis retourné pour ADN, mais j’étais comme paralysé. Je suis resté à l’hôtel, je ne suis pas sorti, pour ne pas voir cet Alger défiguré, délabré, les immeubles de mon ancien quartier qui tombent en ruine. Avant le film, cela faisait douze ans que je n’y étais pas allé. Même ma propre famille ne souhaitait pas me voir venir, car elle savait que j’allais être déçu ; c’est l’anarchie totale là-bas.

Comment avez-vous abordé ce rôle de vieil Algérien qui va mourir ?

J’avais un rôle douloureux et cela a été difficile. J’étais moi-même dans la douleur, parce que cela m’a rappelé des souvenirs personnels : je pensais à ma mère et à mon père, que j’ai enterrés. Il fallait contenir cette émotion, j’étais même dans un état limite. Il fallait trouver l’expression juste, ne pas surenchérir.

Omar Marwan / Photo : Laurent Koffel
Votre rôle a peu de texte : cela a constitué une difficulté supplémentaire dans le jeu ?

Mon personnage n’a pas besoin de parler. Il transmet un message de réconciliation à ses enfants qui se déchirent : il lui faut être là, sourire, leur donner l’espoir. Mes propres souvenirs me suffisaient pour être dans une sincérité naturelle, même si je ne viens pas d’une famille qui s’entre-déchirait.

Quelle a été votre relation aux acteurs qui forment autour de vous la famille du film ?

Nous étions dans des rapports très vrais. Comme nous improvisions, nous nous surprenions les uns les autres, dans un étonnement mutuel permanent. C’est cela qui a aidé à créer quelque chose de vrai. Chaque comédien entraîne l’autre par son écoute. 

Le grand-père que vous incarnez dans ADN est le pilier de la famille. Est-ce que les grands-parents étaient aussi un socle, au sein de votre propre famille ?

J’étais vraiment très petit, j’avais peut-être trois ans quand ils sont morts. Je n’ai pas de souvenirs avec eux. Mais j’aurais bien voulu les connaître et cela m’a manqué.

En leur absence, comment se construisait votre récit familial ?

La transmission se faisait par ma mère : elle me racontait ce qu’elle avait fait avec ses parents, ses grands-parents. Son récit m’apparaissait comme un conte. Avec mon père, c’était différent. Lui était dans l’action, pas dans les histoires. Ma mère m’a emmené à une éducation artistique, les arts plastiques, le théâtre, alors que mon père était dans le travail. Très petit, il a perdu ses parents et cela l’a rendu fort et dur. Il nous disait : « Attention, la vie est courte. »

ADN interroge la question des origines dans l’identité, pesant sur le présent et le devenir. Êtes-vous attaché à cette question ?

On a besoin de se raccrocher à son identité quand on se sent seul, perdu, paumé. D’où je viens ? Où je vais ? Les origines permettent de ne pas être seul, de savoir qu’il y a quelqu’un autour de soi. Les amis ont tendance à disparaître dans les grands moments de douleur et il n’y a que la famille qui peut vous prendre en charge.