Rencontre avec Julie Allione, directrice de casting

Fabrique de famille

Arrivée sur le projet ADN fin juin pour un tournage début août 2019, Julie Allione a eu quatre semaines pour fabriquer une famille avec Maïwenn.

La Covid plus un voyage express hors Paris le lendemain de cet entretien ont empêché la rencontre de visu, mais Julie Allione, au téléphone, a la voix douce et claire. Initialement administratrice de théâtre, en Corse, elle est directrice de casting depuis près de vingt ans. Thierry de Peretti, Rebecca Zlotowski, Maïwenn, Samuel Theis, Catherine Corsini… Elle travaille avec des réalisateurs et réalisatrices dont elle aime « le rapport au réel, le goût du vivant ». Rapide, enthousiaste, elle parle volontiers et énormément. Et s’enflamme sur ADN, édifice auquel elle a eu clairement beaucoup de plaisir à apporter sa pierre.

 

 

Comment fabrique-t-on une famille de cinéma aussi crédible ?

Avec du travail. Beaucoup de travail. Il y a plusieurs niveaux, qui vont du casting sauvage, notamment pour le grand-père, à une recherche plus classique dans un vivier de comédiens. Il ne faut pas juste trouver une ressemblance physique, car, bien entendu, ce n’est pas qu’une question d’apparence, mais plutôt un rapport juste à l’énergie, à la façon de s’approprier le verbe, d’envahir l’espace.

Maïwenn est arrivée avec des idées précises en tête, notamment pour la mère (Fanny Ardant) et la fratrie (Marine Vacth, Henri-Noël Tabary, Florent Lacger)...

Oui, et je dois dire que je n’aurais pas pensé à Marine Vacth pour le rôle de la sœur, alors que c’est une idée lumineuse, tellement évidente à l’écran.

Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Maïwenn est très ouverte aux propositions. Et, avec ses idées et ses listes de comédiens, elle est très en demande de discussions. Il y a eu entre nous un vrai va-et-vient. Quelque chose qui circulait entre les idées qu’elle avait et le moyen de les mettre en œuvre. Car le but est de servir au mieux ce qu’elle a en tête et d’ouvrir sans cesse le champ des possibles. Maïwenn est quelqu’un qui vous met au travail, au sens presque psychanalytique du terme : elle active la pensée, le désir, l’imagination. Comme une pompe qui mettrait l’esprit en éveil. On a envie de réfléchir, pour servir au mieux le projet.

Comment avez-vous trouvé Caroline Chaniolleau, qui interprète la tante ?

Là, j’ai plongé dans les trombinoscopes d’actrices de cet âge, car il fallait tout de même une crédibilité physique avec Fanny Ardant, dont le personnage était la sœur. Mais, dès que j’ai rencontré Caroline Chaniolleau, j’ai constaté qu’elle avait ce rire qui ressemble à celui de Fanny Ardant et aussi une manière de dire, une énergie démesurée, qui fonctionnaient immédiatement en écho. Ça a été l’un des grands bonheurs de ce casting. Je l’aime tellement que je l’ai embarquée pour une petite participation au film de Thierry de Peretti, Les Infiltrés.

L’autre challenge du film était de trouver la bonne personne pour incarner le grand-père, sachant que Maïwenn avait fait jouer son propre grand-père dans ses films précédents ?

C’était sans doute LE challenge le plus important d’ADN. Nous avons effectué un casting sauvage méticuleux : pendant deux semaines, quatre ou cinq assistants ont sillonné de fond en comble les quartiers de Paris où vivaient des communautés algériennes. Ils ont laissé des affichettes partout et contacté même des gens plus jeunes, qui pouvaient connaître dans leur entourage ou leur famille un homme de soixante-dix/quatre-vingts ans, car les personnes âgées ne font pas forcément partie des populations qui se déplacent pour un casting. Nous en avons vu une quinzaine, et c’était souvent très émouvant, car j’ai interrogé ces hommes, dans l’optique du scénario, sur l’Algérie, l’exil, et certains nous ont livré des souvenirs très intimes. Mais lorsque Omar Marwan est arrivé devant la caméra, mon assistant, Romo de la Fuente, et moi-même nous sommes mis immédiatement à pleurer. Il nous a confié des choses incroyables de son parcours d’homme et, à l’image, il était déjà acteur. Et si émouvant. En fait, lorsqu’il est arrivé à Paris, il rêvait de devenir comédien et souhaitait intégrer une école, mais il est entré dans un cinéma sur la vitre duquel une affichette disait : « Engageons projectionniste », car il fallait avant tout qu’il travaille. Et c’est ce qu’il a fait toute sa vie ; il n’a jamais intégré son école d’acteur, mais il a participé à la ligue d’impro.
 

Quelle a été la réaction de Maïwenn ?

Lorsque je lui ai envoyé les essais d’Omar Marwann, elle m’a appelée immédiatement en disant : « Je suis devant mon écran et je pleure tellement que je suis obligée d’arrêter sans cesse et de regarder par petits bouts… ». Et ensuite, quand nous avons fait les essais avec les autres acteurs, il était rapide, il passait du rire à l’émotion, c’était lui.

Vous évoquez le travail, mais il y a aussi une part de chance ?

Pour le casting sauvage, j’ai un rapport assez magique aux choses : si on est systématique, si on colle des affiches partout, à force de voir du monde, il y a forcément un moment où le miracle arrive : la bonne personne se présente. Ça a été le cas pour Mina Farid, qui incarne Naïma dans Une fille facile, et Rebecca Zlotowski l’a validée en deux secondes. Également pour Aliocha Reinert, qui joue Johnny dans Petite Nature de Samuel Theis. Et pour le prochain Catherine Corsini, nous avons trouvé en casting sauvage une infirmière, telle qu’on en rêvait…

Comment percevez-vous le film fini ?

Je regarde mon travail, bien sûr, mais pas seulement. J’ai vu deux fois ADN, en projection équipe, puis en avant-première. Je suis très fière des films auxquels j’ai participé, j’ai vraiment beaucoup de chance et les metteurs en scène avec lesquels je travaille ont tous un rapport très fort au réel. Ils questionnent le genre, la politique, le racisme, la domination, la soumission, et ça va jusque dans le casting des comédiens… Mais j’avoue avoir rarement ressenti autant d’émotions. J’ai été à la fois secouée de larmes et de rires.