Une histoire d’amour et de désir

Les sens de la vie

Une rencontre à Paris, entre sensualité et amour des lettres. C’est le pari réussi du deuxième long-métrage, ample et généreux, de Leyla Bouzid.

Six ans séparent la sortie d’À peine j’ouvre les yeux de celle du second opus long signé Leyla Bouzid. La jeune cinéaste a passé un cap avec ce récit d’une rencontre. Sa mise en scène se déploie, son écriture s’enrichit, son œil se précise. Un jeune homme, une jeune femme sont ici réunis par Paris, l’université et la littérature. Tels deux aimants, ils se découvrent, s’observent et se tournent autour avant de s’approcher. C’est elle qui fait le premier pas. Et ce ne sera pas le seul. Car elle est plus aguerrie en matière de connaissance de soi, et d’assomption de son désir, quand lui est encore hésitant et dans le contrôle. Le sempiternel lâcher prise est ici essentiel, aux prémices de l’épanouissement adulte. Magnifique idée de relier Farah et Ahmed – elle, venue de Tunis ; lui, d’Île-de-France -, par le prisme de la littérature érotique arabe. Le Jardin parfumé, ouvrage tunisien clé du XVIe siècle, en est l’acmé, et la cinéaste en fait l’un des catalyseurs de l’aventure.

Avec son récit d’apprentissage amoureux, Leyla Bouzid transcende la figure de ce duo particulier, qui atteint l’universel. Un choix doublé par celui de le personnifier grâce à deux interprètes peu ou pas identifiés. Sami Outalbali est apparu dans des petits et seconds rôles, au cinéma (Les Tuche, Un vrai bonhomme, Lola vers la mer) et à la télévision (Les Grands, Sex Education), et Zbeida Belhajamor est une nouvelle venue des écrans. Ensemble, ils donnent corps et âme aux êtres avec générosité, et apportent un vibrato particulier à cette histoire d’amour rafraîchissante. Un parcours sensoriel qui s’ouvre en gros plan sur la silhouette du garçon, derrière la vitre de sa douche, avant de se clore sur les peaux enfin reliées, le tout dans des tonalités chaudes et enveloppantes. Entre les deux, la fluidité narrative accompagne les trajectoires qui s’enrichissent l’une l’autre, grâce aussi à la construction de personnages secondaires essentiels dans la transmission (la professeure, le père d’Ahmed). Et le film fini, on reste envoûté par sa beauté généreuse. Révélé à Cannes en juillet, en clôture de la 60e Semaine de la Critique, il vient tout juste de recevoir le Valois de diamant et le Valois de l’acteur au Festival d’Angoulême.