Tu mourras à 20 ans

La tentation d’exister

Huitième film de fiction jamais produit au Soudan, Tu mourras à 20 ans invite le spectateur à redéfinir la poreuse frontière entre la vie et la mort. Son réalisateur, Amjad Abu Alala, démontre la richesse d’une cinématographie trop peu connue des occidentaux.

Une place sablonneuse d’un village perdu du Soudan, où tous les habitants sont conviés. À quelques mètres du nourrisson Muzamil, dont on célèbre la naissance, le cheikh clame qu’il mourra le jour de ses vingt ans. Cette prédiction aurait pu être accueillie d’un rire moqueur. Elle produit l’effet inverse. Désormais, la mère du bébé, Sakina, porte des habits de deuil. Le père fuit. Souffre-douleur, Muzamil est raillé par ses camarades de classe, qui l’enterrent. Il passe sa jeunesse à apprendre le Coran et à mener une existence de saint. Encore en vie, mais déjà fantôme : voilà un adage qui peut résumer sommairement l’histoire de Muzamil.

En explorant le caractère performatif d’une prophétie, Tu mourras à 20 ans déjoue les attentes du spectateur. L’acuité du scénario repose précisément sur la manière d’aborder des catastrophes que l’on croit inéluctables. Porté par une poésie dramaturgique incontestable et une économie de dialogues, le scénario de Yousef Ibrahim et Amjad Abu Alala s’évertue à dépeindre avec délicatesse l’inconscient de personnages soumis à une même angoisse mortifère.  

Grâce à des scènes particulièrement inattendues, visuelles ou symboliques, le long-métrage est une élégie aux actes manqués. À ce qui n’a pas pu se dire ou se faire. Aux regrets d’une destinée sans péché. Ici, nulle démonstration de style : un simple panoramique s’achevant aux chevilles du protagoniste suffit à faire comprendre sa difficulté à affronter l’obstacle devant lui.

Tu mourras à 20 ans. Copyright Pyramide Distribution.

Face à une mise en scène humble et un propos noble, le plus grand danger pour tout film aurait été l’incapacité à relier la première au second. Mais cela aurait été sans compter sur la force primaire du son, cet unificateur idéal du sentiment et de l’image. Orchestrée par Amine Bouhafa (Tumbuktu), la bande sonore arabisante et empreinte de cordes frottées entrelace brillamment intime et universel, lyrisme et ambiance.

Cette conjonction de qualités justifie le succès réservé au film en festivals, récompensé notamment du Prix du Meilleur premier film à la Mostra de Venise 2019 (Lion du Futur).

Deux mois après la sortie du documentaire Talking About Trees (Suhaib Gasmelbari), également tourné au Soudan, cette nouvelle œuvre met elle aussi en lumière des héros africains ordinaires. Des êtres cherchant à rompre avec une réalité sociétale trop pesante et des règles trop rigides. Des hommes aux grands yeux noirs et profonds, mélancoliques et courageux, en quête de cinéma et d’évasion. Sommes-nous aux prémices de l’avant-garde d’une cinématographie absente des écrans trente ans durant ? L’avenir, c’est certain, nous le dira.