Queen & Slim

La balade des innocents

Sur un scénario de Lena Waithe, le premier long-métrage de Melina Matsoukas conte une folle épopée. Une histoire d’amour et de mort, sur les terres du fatalisme social et racial. Eros et Thanatos implacablement liés dans un road movie fort, charnel, et terriblement humain.

Le déterminisme encore et toujours. Cette aventure arrive à point nommé dans l’Amérique de Donald Trump, héritée du sensationnalisme conservateur WASP made in Reagan et Bush. Un jeune homme, une jeune femme, connectés via Tinder, dînent dans un snack, en quête de fun, temporaire voire plus. Elle est avocate et engagée, il vit en mode pépère. Tout part en vrille lorsqu’un agent zélé s’acharne sur eux sur le chemin du retour. Une balle part, puis une deuxième. Le bilan est lourd. Commence alors la cavale du couple improvisé. Fuite incontournable, car le risque est gros. Queen le sait, elle bosse du côté de la loi. Ils sont noirs, et le flic était blanc.

Cette chronique de vie en sept jours à travers les États-Unis ne lâche pas son spectateur. Un périple, de la douceur à la fatalité, qui brille par sa maîtrise. C’est le premier long-métrage d’une reine du format court, de clip vidéo en spot publicitaire. Melina Matsoukas a œuvré avec la crème des stars musicales, de Beyoncé à Pharrell Williams, en passant par Rihanna, Lady Gaga et Jennifer Lopez. Une expérience optimale sur la captation des visages et corps en mouvement, qui en fait une accompagnatrice de choix pour Daniel Kaluuya (Skins, Get Out, Black Panther) et Jodie Turner-Smith (True Blood, The Neon Demon, The Last Ship), filmés avec amour et précision. Les deux trentenaires britanniques campent à merveille ces Bonnie et Clyde contemporains. Avec un aplomb confondant, allié à une générosité dans l’échange de leurs personnages et à une puissante animalité, entre volontarisme et doute. Pas de meurtres en série ici, mais une fuite en avant, pour déjouer l’inexorable exécution judiciaire, et affirmer une liberté de révolte, par le déplacement, comme le firent Thelma et Louise.

La scénariste et productrice (et parfois actrice) Lena Waithe s’implique dans des récits engagés socialement, et dans la visibilité des femmes, des Noirs et de la communauté LGBT. Une conscience politique qu’elle transforme en matériau créatif, au petit comme au grand écran. Elle s’est illustrée notamment en créant les récentes séries télé The Chi, Twenties et Boomerang. Une aubaine pour ce périple qui traite de prise de conscience et de rébellion, et qu’elle voulait scénarisé et filmé au féminin. L’écriture déjoue les attentes, et élabore avec science son déroulé dramatique. Les deux silhouettes vulnérables des protagonistes traversent avec une grâce intranquille ces états du nord au sud, de l’urbanité de Chicago à la lumière de la Louisiane et de la Floride. De leur peau naissent la rage, la force et l’émotion vivace qui ne quittent plus l’esprit.