Série noire

« Des cliques et des cloaques »

Reprise en salles du quatrième (et meilleur ?) film d’Alain Corneau, Série noire, brillante acclimatation dans une banlieue parisienne d’un roman du grand Jim Thompson.

Alors que Raymond Chandler et Dashiel Hammett ont régulièrement eu droit à un traitement de faveur par Hollywood, Jim Thompson, figure plus méconnue du roman noir, a finalement trouvé presque plus d’écho en France qu’aux Etats-Unis. Il faut dire que l’univers désespéré et souvent très dérangeant de l’auteur de Cent Mètres de silence était bien peu adaptable sous l’égide de grands studios américains. En témoigne le fort divertissant Guet-apens, de Sam Peckinpah, qui reste malgré tout une véritable trahison (surtout dans son dernier acte) du Lien conjugal. De ce côté –ci de l’Atlantique, l’audacieux Coup de torchon, de Bertrand Tavernier, est une relecture intéressante de 1275 âmes, mais le travail accompli par Alain Corneau (qui adapte Des cliques et des cloaques, quel titre français !) avec Série noire reste incomparable.

Série noire d’Alain Corneau. Copyright DR.

En transposant une petite ville américaine dans une banlieue parisienne humide et décrépie, le réalisateur du Choix des armes signe son meilleur polar et probablement son meilleur film. Si la photo de Pierre-William Glenn et le réalisme oppressant de décors en décomposition participent évidemment de l’ambiance déprimante du film, la force indéniable de Corneau est sa direction d’acteurs : d’Andreas Katsulas à Bernard Blier, les seconds rôles, magnifiquement choisis, n’ont besoin que de quelques plans pour exister. Mais le coup de génie du cinéaste est le choix de son couple vedette. La révélation instantanée de Marie Trintignant, tout d’abord, qui n’avait jusque-là fait que des apparitions dans les films de sa mère, et bien sûr l’incroyable Patrick Dewaere, en équilibre permanent entre un extrême contrôle et un abandon total, qui trouvait-là le rôle de sa vie. En faisant affleurer la part d’enfance et de folie propres aux personnages de Jim Thompson, les deux comédiens se révèlent l’entière raison d’être du film d’Alain Corneau, qui dépasse avec eux le brillant exercice de style pour accéder à la vérité profonde de l’auteur qu’il adapte.

PS : à noter, pour les thompsonniens purs et durs, que The Killer Inside Me, une autre belle adaptation de l’auteur, a été signée trois ans plus tôt par Burt Kennedy. Sorti très discrètement en France sous le titre Ordure de flic, il met en vedette le génial Stacy Keach, dont le physique et la fragilité annoncent le Dewaere de Série noire.