Senses

Portraits de femmes

Surprenant et singulier, porté par quatre actrices formidables, le premier film à sortir en France de Ryūsuke Hamaguchi marque la révélation du cinéaste. En attendant confirmation avec son prochain film, Asako, présenté en Compétition au Festival de Cannes.

Jusqu’alors connu en France des seuls amateurs avisés de cinéma japonais, Ryūsuke Hamaguchi se trouve propulsé en avant par une double actualité : la sortie dans le courant du mois de mai de son film Senses, récompensé au Festival de Locarno, et la présentation au même moment de sa nouvelle œuvre, Asako, en Compétition au Festival de Cannes. Dans le courant du mois de mai, disions-nous, car le film, plus long que la moyenne (5h17), a été découpé en trois actes par son distributeur français, qui le sortira les 2, 9 et 16 mai comme « la première série cinéma » (sic). On comprend les contraintes de temps qui président à ce découpage, mais on conseillera néanmoins de voir les trois parties de façon rapprochée (c’est notamment possible à Paris le samedi 5 mai au Max Linder), tant l’approche du film se fait à la fois par ses forces et ses faiblesses. Car c’est le mélange de scènes parfois anodines et de moments plus décisifs qui fait le sel de cette œuvre à part.

Senses de Ryûsuke Hamaguchi. Copyright Art House.

Intitulé originalement Happy Hour, le film contient nombre de scènes de bars et de restaurants qui suivent les quatre héroïnes, unies, puis désunies au fil d’une narration à la fois libre et rigoureuse. Cette approche sur la durée et la mise en avant de personnages féminins évoquent forcément la part discrètement onirique du cinéma de Jacques Rivette, d’Out 1 au Pont du Nord, même si Senses n’est évidemment pas réductible à une influence hypothétique du cinéaste de la Nouvelle vague. C’est même le regard très réaliste de Ryûsuke Hamaguchi qui fait une part de la force du film. À travers, notamment, l’évocation du divorce difficile d’une des protagonistes, c’est la place de la femme au Japon qui est questionnée dans Senses, mais c’est surtout le talent de portraitiste du cinéaste qui impressionne le plus. Car, pour emblématiques que puissent être leurs parcours, ses héroïnes ne se réduisent pas à des fonctions de représentations sociales : sur des partitions d’une grande justesse, les quatre comédiennes (très logiquement primées à Locarno) livrent des interprétations d’une finesse épatante, captées par un cinéaste qui leur laisse pleinement le temps de s’exprimer. Tout comme s’exprimera longuement le principal antagoniste (le mari qui divorce, donc) dans une scène d’une complexité émotionnelle très forte, représentative de la richesse d’un film aux multiples beautés.