Reste un peu

Le regard attentif

Gad Elmaleh avance en funambule sur une ligne de crête entre documentaire et fiction, drame et comédie pour évoquer son cheminement spirituel et la crise de foi qui fut la sienne. Drôle et émouvant, Reste un peu est aussi un film très intime et courageux, doublé d’une déclaration d’amour à la famille de son auteur.

Il y a, dans Reste un peu, un terme prononcé par un prêtre, le Père Barthélémy, qui résonne fort et dont l’acception n’est pas celle qui l’accompagne d’ordinaire. Le mot « scrutin » est ici entendu dans son sens premier, latin, et désigne « le fait de regarder avec attention ».

Dans Coco, son premier long-métrage en tant que réalisateur, Gad Elmaleh filmait un père de famille prêt à remuer ciel et terre pour offrir une bar-mitsva grandiose à son fils. Un personnage caractérisé par son sens de la démesure, désireux d’en mettre plein la vue à tous, et incapable d’une chose pourtant simple et essentielle : regarder son fils vivre sa passion du patinage artistique. C’est au terme de son rodéo ostentatoire que Coco finissait par accompagner son enfant à la patinoire et poser les yeux sur lui.

Reste un peu, double inversé de Coco, est tout entier traversé par le regard attentif de Gad Elmaleh sur les êtres qu’il filme et qui constituent son entourage affectif : ses parents et sa sœur, Régine, David et Judith Elmaleh, le Père Barthélémy, Delphine Horvilleur, Sœur Catherine, tous dans leur propre rôle, ou Raymond (Guy Moign), Agnès (Olivia Jubin) et quelques autres personnages de fiction nourris, pour certains, de véritables rencontres. Car ici, le réel et l’imaginaire valsent l’un avec l’autre et laissent toujours entre eux un interstice, une place pour l’indétermination qui active la présence du spectateur, en quête de repères.

Reste un peu de Gad Elmaleh. Copyright Laura Gilli.

À quoi assiste-t-on exactement ? À l’histoire d’un éblouissement, d’un coup de foudre entre un petit garçon, juif marocain élevé à Casablanca, à qui il était défendu fermement d’entrer dans une église, et la Vierge Marie, dont une représentation statuaire a mobilisé son regard et l’a touché au plus profond de son être le jour où l’interdit fut franchi. Gad Elmaleh, dans ce film, fruit d’une longue maturation, mais écrit (avec Benjamin Charbit), tourné et monté en quatre mois comme un geste impérieux, retrace les conséquences de ce bouleversement intérieur. Son récit mêle habilement ses instants de confrontation à sa famille, effarée devant son désir de conversion au catholicisme, ses échanges avec des représentants de l’Église ou du judaïsme, des moments de convivialité avec des amis, une rencontre de hasard avec un homme sceptique au crépuscule de son existence, et des instants d’introspection – dont une hilarante séquence aux accents burlesques dans la chambre d’une abbaye.

Nimbé d’une lumière douce, proche de celle du jour (signée Thomas Brémond) et porté par la partition mélodique en mode mineur d’Ibrahim Maalouf, Reste un peu est un film qui suit les pulsations d’un cœur vibrant, mais tranquille. Justement cadencé, il prend le temps de s’attarder sur les visages de ses personnages lors de gros plans tendres, en particulier sur celui de Régine Elmaleh, la mère de Gad, qui joue son propre rôle au premier degré et investit chaque recoin de l’écran par sa flamboyante présence. Les figures maternelles et mariales dialoguent ainsi entre elles d’un bout à l’autre de ce film, jusqu’au duel final qui mériterait à lui seul un vaste travail psychanalytique.

Gad et Régine Elmaleh dans Reste un peu de Gad Elmaleh. Copyright Laura Gilli.

Aux côtés de Régine, David Elmaleh, le père de Gad, qui fut mime autrefois, constitue, lui aussi, un personnage captivant : à la fois acteur et observateur, il exprime par ses yeux très expressifs – caractéristique commune à tous les individus qui peuplent ce film – autant de pudeur, que d’affection et de mystère. Car si Reste un peu émeut par sa profonde sincérité, il y a aussi toute une part de non-dit qui s’y fait sentir et le rend passionnant, notamment entre un père et un fils, qui commencent par trinquer au double lien qui les relie (« I’m your father and your best friend », dit David en accentuant l’avant-dernier mot) et esquivent toute forme de confrontation par la suite. Voici un film travaillé par les thèmes de la foi, de l’engagement et de la tolérance, qui pose des questions plus qu’il ne les résout, et laisse les fenêtres ouvertes, jusque dans une séquence nocturne dans un couloir d’appartement filmée comme un rêve, où l’étrangeté s’invite à la fête et renforce la sensation que rien, ici, ne revêt de contours définitifs.

On ne dévoilera pas le dernier plan du film ; disons juste qu’il est beau et émouvant, et que Gad y ferme les yeux, après les avoir ouverts tout grands. Comme pour poursuivre, hors champ cette fois, le dialogue entrepris avec celle, pleine de grâce, qui l’accompagne depuis longtemps en secret.  

 

Anne-Claire Cieutat