Chaque année dans la petite ville de Sarlat-la-Canéda, capitale du Périgord Noir, du foie gras et de la tarte aux noix, plusieurs centaines de lycéens se donnent rendez-vous à l’occasion du Festival du Film qui leur est dédié. Leur point commun : tous sont étudiants en « Option Cinéma ».
Deuxième étage du « Bistrot de l’Octroi », un restaurant de terroir situé au bout de la rue de la Paix, principale artère commerçante de la ville. On a dressé plusieurs grandes tables, prêtes à accueillir une farandole de magrets de canard. Les convives arrivent progressivement. La grande salle semble se rétrécir. « Si vous les cherchez, ils sont tous là-haut ! », confie un serveur. Le rassemblement évoque un congrès de médecins ou d’experts-comptables. Il y a là plus d’une cinquantaine de profs d’« Option Cinéma » en lycée, venus des quatre coins de la France et même des DOM-TOM.
Florent Brousse est l’un d’eux. Pourtant, au départ, rien ne prédestinait ce prof d’ingénierie mécanique à devenir responsable d’une section cinéma en lycée. « À la base, je faisais beaucoup de photo », explique l’enseignant. « Un poste se libérait, et on m’a proposé de le prendre. » Dans son option cinéma, M. Brousse est le prof de « technique » : c’est lui qui explique le fonctionnement des caméras, l’optique, la lumière, le son, le montage. Au Festival de Sarlat, il est aussi responsable des « petites séquences », de courts films réalisés sur place par les lycéens en petits groupes, accompagnés d’un professionnel.
Technique et esthétique
Florent Brousse n’a pas été formé à enseigner le cinéma, et n’a en fait aucune formation dans le domaine cinématographique, si ce n’est celle qu’il s’est faite, lui-même, sur le tas. « C’est le cas de beaucoup d’enseignants en section cinéma », explique-t-il. Dans son lycée, il est la deuxième face d’une seule pièce. Comme souvent, les profs de section cinéma fonctionnent en binôme : d’un côté la « technique », de l’autre l’ « esthétique ». Car les lycéens d’option cinéma sont sensibilisés à tous les aspects du septième art, chacun étant sanctionné au bac, avec aussi bien un court-métrage à réaliser qu’une séquence à analyser – pour les options « lourdes » en tout cas (celles qui prennent plus de temps, mais dont les notes comptent plus).
Si les options « facultatives » sont ouvertes à tous les parcours, seuls les élèves de bac littéraire peuvent s’inscrire en option « lourde ». Les profils des lycéens varient : « Il y a ceux qui baignent dans le milieu du cinéma par leur famille, ceux qui aiment le cinéma – ou un genre particulier de cinéma, ceux qui viennent là pour suivre des copains, et puis il y a des aspirants réalisateurs ou youtubeurs, qui font des films ou des vidéos chez eux », explique Florent Brousse. Il ne s’agit pas pour les lycéens d’acquérir des compétences (pour ça, ils iront après le bac à la fac ou en BTS), mais davantage un fond culturel.
Penser à l’avenir
Le problème, c’est que si l’option « lourde » n’est ouverte qu’aux élèves de bac L, certains BTS et formations techniques (comme l’école ENS Louis-Lumière) n’acceptent presque que des étudiants venus d’un bac scientifique. « Pour résoudre ce problème, certains lycées proposent des classes de mise à niveau », explique Florent Brousse. Prépas à destination des lycéens désireux de poursuivre dans les aspects techniques du cinéma. « Et ça fonctionne, poursuit l’enseignant, notamment pour des formations techniques où l’aspect littéraire et culturel reste important, comme à la FEMIS, par exemple ».
Présente dans certains lycées depuis 1989, les sections cinéma – audiovisuel (CAV) se sont grandement développées en trente ans. « Souvent, quand des professionnels interviennent dans l’option, leur première réaction est de dire : « Ouah, si j’avais eu ça à côté de chez moi ! », explique Florent Brousse. « Mais finalement, peu de réalisateurs viennent des sections cinéma, car il est rare qu’une telle envie se dessine dès la fin du collège. Et puis, certains sont aussi freinés par leurs parents, qui ont peur de la vie d’artiste ou du statut d’intermittent, et demandent à leurs enfants de préférer un bac S ». Pour le bac, plutôt choisir une voie plus sage. On verra après. Pourtant, pour les bac L spécialité Cinéma, les débouchés sont nombreux.
Les enfants de Youtube
Que deviennent les lycéens des options cinéma ? Il y a quelques années, le lycée de Florent Brousse avait mené l’enquête. Résultat, près de 60% des lycéens de l’option travaillaient aujourd’hui « dans des milieux liés à l’audiovisuel ». Certains sont animateurs radio, documentalistes, techniciens du cinéma ou animateurs d’ateliers audiovisuels en MJC. « C’est très éclectique, mais ils ont souvent gardé ce goût pour l’audiovisuel découvert à ce moment-là », souligne Florent Brousse. Depuis quinze ans qu’il enseigne le cinéma au lycée, l’enseignant reconnaît que le profil des lycéens a changé, notamment depuis l’arrivée de Netflix, de Youtube, le développement des séries et des franchises cinématographiques. « Aujourd’hui, la culture qui est la mienne n’est plus du tout la leur », explique le prof, qui s’adapte autant qu’il fait découvrir. L’échange culturel va dans les deux sens. « Il faut accepter que ce sont parfois eux qui nous apportent la culture ».
Un nouveau profil d’étudiant a également fait son apparition dans les classes de Florent Brousse : l’apprenti youtubeur. « Pour le coup, ce n’est vraiment pas notre culture, et l’Éducation Nationale ne réserve pas toujours un accueil chaleureux à la création sur Youtube ». Plusieurs de ces lycéens se mettent en scène dans des vidéos qu’ils postent sur Internet, maniant les codes du podcast vidéo, surconsommé par leur génération, mais peu présent dans les enseignements audiovisuels au lycée. Pourtant, l’exercice ne manque pas d’intérêt, mélangeant la technique, la mise en scène, l’écriture et le jeu. « Il faut faire le tri, mais la section cinéma devrait se nourrir de ces nouvelles pratiques des lycéens », préconise Florent Brousse. Et le Festival de Sarlat ouvre la voix, en dressant un pont entre le cinéma et une autre pratique familière des adolescents, le jeu vidéo. Le Festival a en effet reçu, pour une grande conférence, David Cage, fameux créateur de jeux vidéo français au style très cinématographique (Heavy Rain, Beyond, Two Souls ou récemment Detroit : Become Human). Une star pour les lycéens venus en nombre à la conférence, remplissant les 600 sièges du centre culturel. L’audiovisuel de 2018 est bien plus protéiforme que celui de 1989 et les passerelles sont nombreuses. Si l’objet d’étude principal doit rester le cinéma, à chaque enseignant d’ouvrir des brèches entre les lignes du programme imposé chaque année par l’Éducation Nationale, selon sa culture personnelle et les envies de sa classe. Peu d’options au lycée proposent un tel échange de connaissances entre élèves et enseignant. Ah, si on avait eu ça près de chez nous !