Municipale

Politique fiction

Présenté à l’ACID en 2021, Municipale de Thomas Paulot est un documentaire imprégné de fiction. En proposant une passionnante expérimentation dans le réel, il questionne la démocratie et l’engagement à l’échelle locale.

Laurent Papot est comédien. Les cinéphiles l’ont vu dans Pour le réconfort de Vincent Macaigne (2017) ou Un monde sans femmes de Guillaume Brac (2011). Il parcourt sinon les scènes de théâtre. Il a aussi été candidat aux municipales à Revin, commune de 5.800 habitants dans les Ardennes. Conviction politique ? Non, un rôle comme un autre : il a été embauché pour se jouer lui-même en tant que candidat à la mairie d’une ville de l’est de la France. Parce que Thomas Paulot, le réalisateur de Municipale, a eu une drôle d’idée : filmer la vraie campagne d’un faux candidat. Introduire de la fiction pour réveiller une morne réalité politique. Car derrière la banalisation de certaines idées d’extrême droite dans le débat public se cache une autre réalité : celle du désengagement des citoyens pour la politique locale, dans certains endroits de France qui se sentent oubliés. Le concept saugrenu du film est passionnant en soi, et Thomas Paulot, reprenant tous les codes du documentaire politique, le tient jusqu’au bout. Mais il va plus loin encore, et on aurait tort de réduire Municipale à ce concept amusant. Le film est aussi le portrait d’une ville au passé industriel glorieux et à l’avenir incertain. Une cité ouvrière, sans attrait économique ou touristique, dans ce qu’on appelait autrefois le Pays du Labeur, car il concentrait dans les méandres de la Meuse un nombre important d’usines sidérurgiques. Mais les usines ont fermé et maintenant la ville est trop grande et ses habitants trop rares. Beaucoup de ceux qui sont restés travaillent chez Electrolux, mais le site menace également de fermer. Filmant cette réalité à la hauteur de ses habitants, Municipale récolte aussi au passage une parole et un témoignage précieux sur la France postindustrielle. 

Municipale de Thomas Paulot. Copyright Rezo Films.

Municipale n’est pas pour autant un film pessimiste, en particulier grâce à la performance de Laurent Papot, son côté sympathique et l’humour qu’il insuffle au film. Car oui, on n’est pas si mal, finalement, à Revin. Comme un chevalier s’installant définitivement en Terre Sainte en oublie sa croisade, le comédien se fait adopter par ses nouveaux amis revinois, et passe plus de temps à traîner dans les bars qu’à travailler sa campagne. Le projet d’élection semble délaissé, mais finalement se ravive, notamment grâce à l’aide de Ferdinand Flame et Milan Alfonsi, coauteurs et personnages du film. Alternant enthousiasme et fatigue, conviction et doute, Municipale raconte bien le rythme et les difficultés d’une campagne politique. Avec ce paradoxe ultime : Laurent Papot est un candidat sans programme, qui, s’il est élu, laissera sa place. Si son élection est l’enjeu du film, l’objectif n’est pas là. Il s’agit plutôt, dans une logique d’agit-prop, de stimuler la vie politique. On s’aperçoit bien vite qu’elle n’est pas si morte que ça, et Municipale ne tombe pas dans le piège du projet d’intellectuels parisiens faisant la leçon dans une ville pauvre de province. Au contraire, le film laisse aussi la part belle à des habitants engagés, qui ont des projets pour que leur ville change, même s’ils sont souvent désabusés. À travers cette expérimentation originale, où la fiction pénètre le réel, Thomas Paulot propose un documentaire passionnant sur l’engagement, les petites villes et la politique locale.