Memory Box

Souvenirs souvenirs

Des journaux intimes s’animent sous nos yeux pour raconter la guerre, le Liban, la fin de l’enfance. Imparfait, ce cinquième long-métrage des réalisateurs de Je veux voir reste original et troublant.

C’est l’histoire d’une mémoire enfouie et du retour du refoulé sous forme d’un colis contenant la correspondance envoyée du Liban, de 1982 à 1987, par Maia à Liza, son amie d’enfance partie à Paris pour fuir la guerre. Il arrive, plus de trente ans après, en son absence, au domicile de Maia désormais installée au Québec. Au vu du patronyme de l’expéditeur, sa mère Téta décide de le cacher : Maia n’évoque jamais son passé, ni son pays. Mais les souvenirs sont tenaces, ils sont dotés d’esprits frappeurs, le carton tombe de sa cachette et son contenu se répand sur le sol : carnets intimes, lettres, photos, cassettes, tous objets que Maia (Rim Turki) reconnaît très bien, mais refuse de voir ressurgir dans sa vie.

Memory Box - Copyright Haut et Court, Abbout Productions

Sa fille Alex (Paloma Vauthier) sera d’abord notre guide. En cachette, armée de sa curiosité et d’un jouet d’enfance permettant d’écouter les cassettes désuètes, l’adolescente férue de réseaux sociaux découvre avec étonnement un pan entier de la vie de sa génitrice et une autre façon de maintenir le lien avec ses amis. Les lettres sur les pages dansent, la voix se fait présente, les photos arrêtées s’animent et nous entraînent dans une folle sarabande. Soudain, le monde de Maia de ses 13 ans à ses 18 ans s’ouvre aux yeux de sa fille et aux nôtres.
Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, en plus d’être les réalisateurs de films essentiels sur le Liban, tels Souvenirs de la maison rose ou Je veux voir, sont des artistes, photographes et vidéastes. Fourmillant d’idées graphiques et de trouvailles visuelles, Memory Box jette sur l’écran des kaléidoscopes d’images, des silhouettes découpées de la jeune Maia (Manal Issa), des mots et des émotions. C’est ludique et mélancolique, car on voit et on entend à la fois la guerre civile qui gronde et l’amour qui explose avec coup de foudre et rendez-vous secrets. Ce qui est beau dans Memory Box, c’est qu’il est librement adapté de la véritable correspondance que Joanna Hadjithomas, restée au Liban, eut avec une amie d’enfance. Même si tout est ici recréé avec des comédiens, on sent une vérité, une justesse. Un témoignage unique d’une période tragique qui jamais ne s’apitoie, parce que le souffle de la vie est partout, malgré les bombes et les secrets familiaux, rehaussé par la pétulante bande-son d’époque, qui, de Fade To Grey (Visage) à Cambodia (Kim Wilde) en passant par One Way Or Another (Blondie), fait diablement exister l’époque. Si la deuxième partie, où Maia prend le relais et devient la guide au double sens du terme, est un peu plus convenue, il n’en reste pas moins qu’elle propose un regard bienvenu sur Beyrouth aujourd’hui après cet étonnant et passionnant retour sur celui d’hier. L’élan de la jeunesse qui traverse et sous-tend Memory Box ne peut être stoppé. C’est sa beauté et sa raison d’être. Sa force vive et communicative.

 

Isabelle Danel