Moneyboys

Melancholy Baby

Révélé à Un Certain Regard à Cannes, le premier long-métrage émouvant de C.B. Yi installe, derrière sa vitrine d’esthète, la vision frontale et mélancolique de son jeune réalisateur.

 

Tout comme sa contemporaine Yé Yé, dont le formidable documentaire H6 est sorti il y a peu, C.B. Yi a quitté la Chine dans sa jeunesse. Elle est partie pour la France, lui pour l’Autriche. De ce vécu ailleurs, et d’allers-retours avec la terre d’origine, l’envie est venue d’y réaliser un premier long-métrage, dans un double mouvement de distance et d’immersion retrouvée. Moneyboys filme frontalement un jeune homme qui aime les hommes, et qui s’est affranchi de sa condition et du déterminisme en gagnant sa vie comme travailleur du sexe. Aucun moralisme ni misérabilisme ici. Le réalisateur construit la trajectoire d’un personnage qui assume son destin, quel qu’en soit le prix. Le sacrifice pour assurer du confort à sa famille restée au village se voit contradictoirement accompagné d’un rejet de la société et de ce même foyer originel. Le choc entre la tradition et la modernité, entre le collectif et l’individu, nourrit ce récit romanesque.

 

Moneyboys de C.B. Yi. Copyright Jean Louis Vialard / ARP Selection.

L’aventure raconte aussi qu’un chemin de vie peut faire envie à d’autres, qui y projettent espoirs et frustrations, prêts eux aussi à tout larguer, en quête de succès. Mais les aspirations se cognent au réel et aux injonctions constantes, et la réussite matérielle ne va pas forcément de pair avec l’épanouissement personnel. Pour mettre en scène toutes ses envies, C.B. Yi fuit le naturalisme et opte judicieusement pour un cinéma au soin esthétique affirmé. Le format Scope et le plan-séquence créent un espace-temps fignolé par le réalisateur, son chef-opérateur Jean-Louis Vialard (Tropical Malady d’Apichatpong Weerasethakul, Dans Paris de Christophe Honoré, Qu’un seul tienne et les autres suivront de Léa Fehner), et toute l’équipe du film. Le résultat est précis, léché, et se place dans l’héritage des grands maîtres Hou Hsiao-hsien côté nature, et de Wong Kar-wai côté ville. Le tout dans une nappe mélancolique, agrémentée d’une musique lancinante et de titres pop, assortis aux teintes et ambiances nocturnes.

Représenter l’homosexualité à l’écran a toujours été compliqué en Chine, où la répression est encore présente, malgré la dépénalisation. La récente web-série Addicted en a fait les frais, et les films locaux marquants ont réussi jusqu’ici à voir le jour grâce aux tournages et/ou fonds hongkongais (Happy Together de Kar-wai, Histoire d’hommes à Pékin de Stanley Kwan) ou étrangers (Les Filles du botaniste de Dai Sijie), avec parfois un tournage en douce (Nuit d’ivresse printanière de Lou Ye), ou le prétexte de l’illustration historique d’une tradition culturelle (Adieu ma concubine de Chen Kaige, et son amour unilatéral et malheureux). C.B. Yi s’est donc tourné vers l’île de Taïwan pour une partie de la coproduction avec l’Europe, pour le tournage et pour une partie de son excellent casting (étonnante Chloé Maayan, qui tient trois rôles). Son chant mélancolique apporte sa pierre de cinéaste de la nouvelle génération. C’est une émouvante vision nourrie d’ici et d’ailleurs, de particulier et d’universel, et d’amours irrémédiablement empêchées.