H6

Les chocs de la vie

Présenté en séance spéciale au dernier Festival de Cannes, ce documentaire immersif épate par sa puissance existentielle. C’est aussi la révélation d’une réalisatrice au regard frontal et humaniste : Yé Yé.

Chine. Shanghai. Hôpital du peuple n°6. C’est à l’occasion de son immersion en tant qu’opératrice image d’une série télévisée tournée dans ce dédale hospitalier que Yé Yé a eu l’idée d’y consacrer un film documentaire. En voici le résultat, détonnant. Une plongée de près de deux heures, à laquelle invite cette chronique bouleversante. Une radiographie de la Chine et de notre monde, quelques mois seulement avant la pandémie du Covid. Ce hasard temporel fait de ce long-métrage un témoignage d’une puissance inouïe, et un document résonnant avec les préoccupations universelles qui touchent de plus belle la planète depuis début 2020.

H6 de Yé Yé. Copyright Nour Films.

Comme dans le cinéma du documentariste états-unien Frederick Wiseman, l’incursion en pleine institution débouche sur la vision de l’intérieur d’un fascinant microcosme, qui devient un univers en soi. La caméra est toujours à la bonne distance, du gros plan au plan large. Elle ne cherche pas le pathos et n’évite jamais l’essence de chaque situation. Le choix des chemins de vie retenus à l’image s’équilibre harmonieusement, à la manière du yin et du yang. L’urgence vitale se mêle à la légèreté, la gravité à l’humour, la vie à la mort. Comme chez son compatriote chinois Jia Zhang-ke, la menace de déréliction est là aussi. La cinéaste, créatrice multidisciplinaire (effets visuels, architecture, design, céramique…) sait en effet tirer du réel une force cinématographique démente, qui tient à son regard, à son cadre, et au montage. Une aventure collective devant et derrière l’objectif, qui traverse haut et fort l’écran.

Car l’émotion vivace jaillit d’urgences et de dilemmes vitaux, familiaux, financiers, sociétaux, parfois insupportables, et révélant des injustices profondes. Elle contamine progressivement cet entrelacement de moments et de destins à la force concrète, et saisis dans leur tragédie, comme dans leur luminosité soudaine. La Chine, si loin, si proche, est portraitisée avec l’audace de celle qui en est partie, mais avec l’empathie de celle qui en reste une enfant. L’aventure balaie ainsi tous les sentiments. Elle embarque le spectateur par son engagement dans la captation d’une vérité humaine. L’impact est grand, mais galvanisant aussi, car Yé Yé restitue l’énergie en jeu, pour mieux la transmettre via sa mise en scène. H6 n’est pas qu’une accumulation de scènes hospitalières de plus. C’est un véritable tour de force.