Maigret

Comme une ombre

C’était simple, mais il fallait y penser. Patrice Leconte, amoureux de Simenon et du cinéma français de l’après-guerre, livre un Maigret nostalgique et bouleversant, littéralement habité par Depardieu.

Dès l’affiche, il y a une évidence, cette silhouette massive en ombre chinoise, ce profil reconnaissable sous le chapeau. « Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! », disait un autre commissaire (télévisuel, comme le fut également Maigret incarné par Jean Richard, puis Bruno Cremer pour le petit écran) : Gérard Depardieu EST ce personnage, né sous la plume du génial Georges Simenon. Incontestablement. Les plus grands acteurs s’y sont frottés : Harry Baur, Michel Simon, Charles Laughton, Jean Gabin, excusez du peu. Gérard Depardieu réussit ce prodige de renouveler cette figure du polar classique tout en se révélant à travers lui et en le respectant. 

Grâce en soit rendue à un habile scénario signé Jérôme Tonnerre et Patrice Leconte, qui puise dans Maigret et la jeune morte juste ce qu’il faut pour y tricoter une intrigue prétexte. Élaguant ici des personnages, ajoutant là des turpitudes (la résolution, dans le livre, était toute différente), tressant surtout un écheveau de sentiments et sensations qui confèrent au commissaire une densité tout intérieure. Et puis, il y a l’œil de Patrice Leconte, ses cadres au cordeau, son envie de faire un pas de côté, de mettre debout une écriture qu’il aime depuis l’enfance dans des images au classicisme apparent, qui disent aussi son amour du cinéma de Duvivier, de Carné, de Renoir. 

Maigret de Patrice Leconte. Copyright F COMME FILM / PASCAL CHANTIER / SND.

Ça commence chez un médecin, qui pointe une lassitude, une inappétence, un ralentissement, et recommande l’arrêt du tabac. Sans sa bouffarde, Maigret est comme dépossédé d’un ancrage, il ne sait plus quoi faire de ses grosses mains. Il avance tel un funambule, les bras vaguement écartés comme en balancier. Alors qu’il cherche à découvrir qui est cette frêle jeune femme assassinée dans sa robe de soirée, des fantômes viennent à sa rencontre. Celui de la morte, celui de sa propre fille disparue, et soudain une autre jeune femme avec de grands yeux tristes pourrait bien aider et être aidée. À comprendre, à rester vivant(e), à continuer à avancer. 

Le film bénéficie de magnifiques seconds rôles, dont la merveilleuse révélation Jade Labeste, mais aussi Anne Loiret, toute de bonté en Madame Maigret, Aurore Clément en vénéneuse aristocrate à la voix éreintée et Élizabeth Bourgine en flamboyante couturière aux mains caressantes. Et puis, dans une scène d’autant plus bouleversante que celui-ci vient de nous quitter, il y a André Wims, qui évoque une douleur dont l’écho fait frémir l’œil bleu gris de Maigret/Depardieu. La beauté de Maigret réside dans sa nostalgie – sa reconstitution d’un Paris oublié, d’une époque révolue – et aussi dans sa rémanence. Car Maigret, le personnage, est cet homme fait loi, imposant et infaillible, qui dans le même temps n’est qu’un homme. Et sa fêlure, ici, laisse passer la lumière. Gérard Depardieu est d’une force ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. À la fois terrienne et évanescente. Ce qui nous fait penser, comme c’est le cas de Robuste de Constance Meyer (sortie le 2 mars), qu’un portrait en creux de son acteur principal s’y niche comme pour mieux le faire résonner.