Madeleine Collins

Un intrigant double jeu

À travers la double vie sans éclat d’une jeune femme, le film d’Antoine Barraud questionne de façon angoissante le rôle des apparences et des identités dans la société.

 

Pour son troisième long-métrage, six ans après Le Dos rouge et huit ans après Les Gouffres, Antoine Barraud dresse le portrait d’une femme. Nous assistons à la vie de Judith Fauvet (Virginie Efira), traductrice pour les institutions internationales, partagée entre un mari chef d’orchestre, Melvil (Bruno Salomone) et ses deux enfants en France, et un jeune amant en Suisse, Abdel, père d’une fille dont elle s’occupe comme de son propre enfant. Elle est de tous les plans. Elle s’isole pour répondre secrètement à des appels téléphoniques, elle s’invente des voyages d’affaires, elle ment sans laisser paraître la moindre émotion.

Madeleine Collins d'Antoine Barraud - Copyright Paname Distribution / UFO

Ce qui intrigue de prime abord, c’est la froideur de son visage, où chaque clignement de sourcil est un événement, la mise en scène représentant avec méticulosité un quotidien sans grand retentissement. Des mêmes lieux et des mêmes déplacements se succèdent dans le va-et-vient entre ses deux vies. L’enjeu du film est alors de voir progressivement ce vernis se craqueler pour laisser apparaître des fêlures, et faire deviner les limites d’un mensonge. Cette vie aux deux identités soigneusement compartimentées donne lieu à une escalade dans l’angoisse. Virginie Efira incarne avec un grand talent cette figure placide qui va se déliter petit à petit, jouant la maîtrise comme l’inquiétude avec d’infimes nuances.

Madeleine Collins d'Antoine Barraud - Copyright Paname Distribution / UFO

La force du scénario (qu’Antoine Barraud a coécrit avec Héléna Klotz) est de ménager la confusion, ne cherchant pas à orienter notre interprétation, provoquant surprises et malaises. Le spectateur tente de réunir les pièces d’un puzzle narratif complexe. Cette femme au cœur de l’intrigue est ambiguë. Nous ne parvenons pas à comprendre ses motivations. Est-elle une amoureuse romantique, une séductrice, une manipulatrice ou une psychopathe ? Cette identité trouble nourrit le thriller et sa dimension hitchcockienne, bien qu’aucun événement extraordinaire ne vienne complètement satisfaire cette piste. Le film est autant réflexif et sociétal que métaphysique. Il en devient passionnant. Ce personnage qui perd le contrôle sur ses identités, c’est un peu une actrice qui perd la maîtrise de ses rôles. Et à travers elle, une femme qui subit le poids des regards portés sur elle ; Madeleine Collins peut être perçu comme une exploration de ses tourments et de sa quête d’une place dans le monde face aux assignations de la société.

La mise en scène d’Antoine Barraud est alors au diapason du propos, élaborant un univers feutré pour représenter un quotidien routinier. La banalité du récit et des images peut rebuter. Mais c’est pourtant là toute la puissance du film. En évitant le spectaculaire ou les ambiances suffocantes, le cinéaste nous tient en haleine puisque, à chaque seconde, le monde dépeint peut vaciller.

Benoit Basirico