Des vies chamboulées par un amour immense, qui frappe Shauna, 71 ans, et Pierre, 45 ans. Et une émotion vive nous saisit en contemplant Fanny Ardant et Melvil Poupaud, au-delà du jeu, éblouis et éblouissants.
« Ben ouais, qu’est-ce que t’allais imaginer ? », dit Shauna dans un sourire espiègle. Elle parle à son chien – et à elle-même – lorsque Pierre, l’ayant embrassée maladroitement sur la joue, remonte dans la voiture de Georges qui l’emporte loin de cette maison d’Irlande et loin d’elle. Cette scène du premier tiers du film clôt un chapitre pour en ouvrir un autre, fait de tout ce que Shauna était allée imaginer, justement. Mais qu’elle vit, qu’ils vivent. Pour de bon. Dans le réel de leur chair et de leurs univers chamboulés. L’amour entre elle et lui. Elle, 70 ans, bientôt 71, mère et grand-mère, jadis mal mariée, aujourd’hui seule. Lui, 45 ans, médecin, marié, père d’une ado et d’un jeune garçon, avec au cœur un colossal chagrin qu’il n’a jamais laissé sortir.
La très regrettée scénariste et réalisatrice Sólveig Anspach (Haut les cœurs ! 1998 ; Lulu femme nue, 2013 ; L’Effet aquatique, 2016), avait écrit avec Agnès de Sacy cette histoire, qui, dans la vraie vie, était arrivée à sa propre mère. Avant de mourir en 2015, elle avait souhaité que le film existe et soit réalisé par une femme. Reprenant le travail trois ans plus tard, Carine Tardieu (Ôtez-moi d’un doute, 2017) a eu un certain courage, car au-delà de la complexité de faire exister cette histoire de désir, d’amour, d’âge et de filiation, mettre ses pas dans ceux de Solveig Anspach n’est pas chose facile. Le pari est relevé grâce à un scénario que la réalisatrice s’est réapproprié avec Agnès de Sacy d’abord, puis Raphaële Moussafir, sa complice depuis Du vent dans mes mollets (2012). Il y a à l’arrivée la réussite d’une écriture délicate, sensible, qui confère à cet amour tout le respect qui lui est dû. Et qui fait la part belle aux personnages secondaires, l’épouse et le meilleur ami de Pierre ; la fille et la petite-fille de Shauna. À ce que cette incroyable histoire d’amour, dérangeante, inattendue et si belle, leur renvoie de leurs propres sentiments, de leurs propres manques. De leurs désirs aussi. Les Jeunes Amants induit également en filigrane l’idée peu répandue, mais si juste que le chagrin parfois, à votre insu, surtout lorsqu’il est nié, vous fait ouvrir des portes que jamais vous n’auriez franchies, et remplacer un visage par un autre, un amour par un autre.
S’il y a dans la mise en scène certains ratages (dont une nuit américaine bien encombrante) et quelques baisses de tempo, le rythme unique des comédiens les contrebalance et emporte l’ensemble. Les personnalités et musicalités singulières et différentes des voix de Florence Loiret-Caille, Cécile de France ou Sharif Andoura génèrent des moments de jeu passionnants, bouleversants, drôles aussi. Et puis, il y a la rencontre entre Fanny Ardant et Melvil Poupaud, de leurs beautés et sensualités, et cette alchimie magnifique de leurs forces fragiles confrontées irrigue tout le film. On accepte tout en bloc, leur lien, le mélo, le rire et les larmes.