Les Amandiers

Vivre pour jouer

Grand coup de coeur du dernier Festival de Cannes où il était présenté en compétition, Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi (Actrices, Un château en Italie…) fait éprouver la fièvre qui régnait dans l’école de Patrice Chéreau à Nanterre et donne à sentir ce qu’implique la vocation d’acteur. Que ce film est vivant !

En ravivant ses souvenirs associés à ses années d’apprentissage à l’éphémère école des Amandiers de Nanterre, dirigée par Patrice Chéreau dans les années 1980, Valeria Bruni Tedeschi, épaulée par Noémie Lvovsky et Agnès de Sacy au scénario, compose une ode vibrante aux acteurs et à la jeunesse. Elle recompose ainsi la troupe d’apprentis comédiens qu’elle formait à l’époque avec Eva Ionesco, Marianne Denicourt, Agnès Jaoui, Bruno Todeschini, Vincent Pérez ou Thibault de Montalembert, et que dirigèrent Chéreau (ici élégamment interprété par Louis Garrel) et son bras droit, Pierre Romans (campé par Micha Lescot).

Cette petite communauté de passionnés, qui bientôt formera une génération d’acteurs formidables, fait fondre la frontière entre le jeu et la vie, et traque sur scène comme en dehors l’intensité de chaque instant – ce qu’alimente le partenariat avec le Lee Strasberg Institute de New York, où les élèves partent travailler la mémoire émotionnelle comme le veut l’Actors Studio. Comme si ce désir de devenir actrices et acteurs répondait à un appétit, une vitalité hors norme, une soif d’absolu. À cet égard, la séquence de l’examen d’entrée est aussi drôle que touchante, lorsqu’on voit défiler ces jeunes gens prêts à tuer père et mère (sauf peut-être Étienne, qui vénère la sienne !) pour être admis. 

Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi. Copyright 2022 - Ad Vitam Production – Agat Films et Cie – Bibi Film TV – Arte France Cinéma

La mise en scène très agile de Valeria Bruni Tedeschi parvient à tisser le théâtre et l’existence de chacun dans un permanent va-et-vient, où le tragique et la légèreté se font la courte échelle. Elle fait ainsi entrer le monde extérieur dans l’univers très circonscrit de cette école expérimentale et restitue avec fidélité le climat d’une époque terrorisée par les ravages du Sida et de la drogue. 

En double de fiction de la réalisatrice, Nadia Tereszkiewicz, déjà croisée dans Seules les bêtes ou Tom, est éblouissante. Ses camarades de jeu, parmi lesquels Sofiane Bennacer, épatant dans le rôle de l’ange noir dont Stella est amoureuse (Stella, au fait, pour Un tramway nommé désir et pour Marlon Brando, imité dans une scène ?), Clara Bretheau, Vassili Schneider ou Suzanne Lindon, sont tous confondants de présence et de justesse. 

Comme dans Vanya, 42e rue de Louis Malle, leurs personnages jouent Tchekhov (Platonov), sous la houlette de Chéreau, hanté par l’exercice de son art. « Il faut vivre », est-il dit à la fin d’Oncle Vania. Il faut vivre et éprouver pour jouer, raconte avec brio Les Amandiers. 

 

Anne-Claire Cieutat