La Générale

La résonance et la grâce

Parmi les nombreux films consacrés à l’éducation, sortis depuis la rentrée, La Générale de Valentine Varela se distingue particulièrement. Porté par un regard délicat et bienveillant, ce documentaire tourné dans un collège parisien captive autant qu’il émeut.

Le film s’ouvre sur leurs silhouettes en promenade en bord de mer, où Maureen, Emmanuel et Catherine semblent remplir leurs poumons d’air pur avant d’entamer une plongée en apnée. C’est que le quotidien de ces enseignants du lycée général et technologique Émile Dubois, dans le quatorzième arrondissement de Paris, n’est pas de tout repos. Très impliqués dans leur mission, tous déploient une énergie considérable pour tirer vers le haut leurs élèves – dont beaucoup ont été refusés dans d’autres établissements et connaissent des vies familiales tourmentées. Le soupir profond que pousse Christine en fermant son casier à l’issue de son cours, au début du film, est éloquent. Il faut dire que sa patience et sa fermeté face aux revendications de ses élèves relèvent de l’héroïsme. Lors de ces bras de fer, on est partagé entre le fou rire et le désarroi. La tonalité du film oscille ainsi constamment du drame à la comédie, et retour – « la vie s’y raconte », résume la réalisatrice, Valentine Varela.

Christine et Imane. La Générale de Valentine Varela. Copyrights : Nour Films.

Cette dernière, comédienne et auteure de quatre documentaires, qui tous traitent de l’échec et de l’abandon (Une voix en exil ou Les Enfants de la casa), regarde ces jeunes mis au défi de passer en première générale – passeport social aux yeux de beaucoup – avec une tendresse infinie. Accompagnée à l’image par le très habile Yoann le Gruiec, elle a passé un an, à raison de deux ou trois matinées par semaine, dans ce lycée. Très vite, des personnages se sont imposés à leur unique caméra. Parmi les élèves, Imane et Salah se font remarquer. Désarmants, très attachants, ils frôlent constamment le renvoi à force de multiplier les retards, absences et comportements inappropriés. Le sens de la répartie d’Imane est du pain béni pour un documentaire. Il faut la voir et l’entendre passer du franc sourire au dépit dans la séquence où Christine et Maureen lui reprochent sa tricherie. La caméra ne semble à aucun moment faire entrave à ces instants de tension dramatique.

Imane lors de l'atelier baroque in La Générale de Valentine Varela. Copyrights : Nour Films.

D’un bout à l’autre de La Générale, l’énergie circule. Épaulée au montage par la talentueuse Liza Ignazi, Valentine Varela joue habilement avec les ruptures de ton sans jamais briser la fluidité de l’ensemble. On sent dans son regard, comme dans celui de sa monteuse, son goût pour la danse.

Dans la séquence de l’atelier baroque, la grâce surgit. Sur un air de cour, Nos esprits libres et contents, les lycéens découvrent le français du XVIIe siècle et l’art de la rhétorique. La magie opère : les élèves participent, cherchent à adopter la « prononciation restituée », s’appliquent dans leur gestuelle, et perçoivent, pour certains, des liens avec la « langue du bled » de leur famille. À cet instant, les époques se confondent, le temps se suspend, les différences entre les classes sociales s’estompent. Grand et beau moment de cinéma, qui se prolonge dans les plans suivants, jusqu’à ce mouvement de poignet d’Emmanuel en train de corriger sa copie, qui rime avec celui d’Imane quelques secondes plus tôt.

La Générale est tout entier nourri de résonances. Entre une cinéaste et les élèves qu’elle filme, pour certains issus de l’immigration… comme elle, dont la famille est originaire de Russie, d’Ukraine et d’Espagne. Entre les élèves et le corps enseignant de cet établissement particulier, dont on ne dira jamais assez à quel point il est méritant. Et entre les profs eux-mêmes, qui savent rester soudés. Mais aussi entre le cinéma et le théâtre, dont est issue Valentine Varela (le titre du film évoque, notamment, la dernière répétition avant la première représentation publique). Tous ces petits liens dessinent une toile de fond vibrante et font de ce documentaire de cinéma une partition humaniste de la plus belle facture.

 

Anne-Claire Cieutat