La Fille au bracelet

Que savons-nous ?

Avec un film aussi réaliste que haletant, Stéphane Demoustier offre à la justice française la fiction contemporaine qui lui manquait.

C’est une après-midi d’été. Sur la plage, une famille « ordinaire », comme on l’appellerait dans un roman policier. Autour de la mère et du père, deux enfants, un garçon et une fille. Quand la gendarmerie arrive, cela se fait sans heurts. Un peu d’incompréhension bien sûr, mais l’aînée reste docile quand les agents lui demandent de la suivre. Plus tard, cette absence de révolte sera analysée, décortiquée. Ne dit-on pas des adolescents qu’ils sont violents ? Qu’ils sont réfractaires à l’autorité ? Alors quoi ? Elle est si calme, « c’est bien qu’elle savait pourquoi on l’inculpait ». L’argumentaire de l’avocate générale (Anaïs Demoustier, magistrale) est bien rodé. « Mais que savons-nous de la vie des adolescents ? », lui rétorque l’avocate de la défense (l’imparable Annie Mercier, que les amateurs de théâtre connaissent bien).

La Fille au bracelet | Copyright Mathieu Ponchel

Que savons-nous ? Telle est la question centrale du film de Stéphane Demoustier. Hormis cette scène introductive d’appréhension policière, l’intégralité de La Fille au bracelet se passe au présent du procès. À l’épineuse question : « Lise a-t-elle assassiné sa meilleure amie ? », seule la justice donnera la réponse. N’offrant ni flash-back ni scène de confession intime, le film déroule son intrigue au fur et à mesure qu’apparaissent devant la cour les pièces à conviction et les témoignages. Aux jurés de faire leur opinion. Au spectateur aussi, juré désigné dans cette fiction judiciaire aussi réaliste que haletante. La Fille au bracelet est un authentique « film de procès », un genre si rare en France – alors qu’on sait depuis longtemps, à la faveur des fictions américaines, la puissance des histoires judiciaires. Il est rafraîchissant de voir ce type de récit dans un univers français. Dans le film de Stéphane Demoustier, pas d’ « Objection, Votre Honneur ! » et autres rites américains qu’on connaît pourtant par cœur. Nous sommes tellement habitués à suivre des histoires de procès aux États-Unis que nous en connaissons tous les codes, au point de croire parfois qu’ils sont aussi les nôtres. Heureusement, Stéphane Demoustier offre à la justice française la fiction qui lui manquait.

La Fille au bracelet | Copyright Mathieu Ponchel

Le décorum de ce tribunal est sobre, moderne, fonctionnel, bien loin des ors de la République, comme le sont souvent en France les palais de justice. L’essentiel du film s’y déroule. Le reste suit le couple des parents (interprétés avec sobriété et intelligence par Roschdy Zem et Chiara Mastroianni) s’efforçant de soutenir leur fille, malgré l’inquiétude et le doute. Un doute, omniprésent pour le spectateur, qui est l’une des forces du film. Alors qu’ils sont pourtant habituels dans ce type de récit, il n’y a dans La Fille au bracelet aucune séquence entre l’inculpée (la révélation Mellisa Guers) et son avocate, les montrant élaborer une stratégie – qui pourrait donner au spectateur un statut omniscient. Au contraire, on ne sait rien, ou guère plus que les autres. Et pourtant il faudra trancher. Et si le film ne donne pas une réponse claire, puisqu’il n’y a pas de flash-back nous montrant la scène, il décide tout de même. La justice se prononce, la décision sera rendue, établissant une vérité indiscutable en l’état, c’est-à-dire en l’absence de preuves ou d’éléments supplémentaires. Une vérité peut-être imparfaite, car le doute subsiste, mais une vérité nécessaire.