L'Origine du monde

Le rire et les ombres

Laurent Lafitte filme un personnage aux portes de la dissociation et fait valser autour d’un acte « psychomagique » un cortège de personnages mis à nu, dont la seule résistante est la mère, détentrice des secrets de famille. Une fable à double-fond, à mi-chemin entre le geste potache et la comédie anglaise.

La vie de Jean-Louis est une mascarade. Ce quadragénaire parisien (Laurent Lafitte) a bâti son existence sur des pactes tacites, qui l’enchaînent à son épouse (Karin Viard), sa fonction d’avocat et son mode de vie nourri de faux-semblants. Un jour soudain, son cœur s’arrête de battre. Mais Jean-Louis vit, respire, se meut encore. Lorsqu’une thérapeute « holistique » (Nicole Garcia, géniale dans la frontalité) l’enjoint de photographier le vagin de sa mère de 82 ans pour se libérer de son sort funeste, il lui faudra faire preuve d’une imagination sans borne, et affronter la résistance de celle qui maintient captifs ses fantômes familiaux

Laurent Lafitte adapte pour son premier long-métrage la pièce de Sébastien Thiéry et signe avec L’Origine du monde, une fable osée autour du tabou et des secrets de famille. Côté pile, voici une comédie qui n’a pas froid aux yeux et surprend par la hardiesse de son argument. Mêlant l’humour anglais et le premier degré potache, Laurent Lafitte fait de l’acte psychomagique pseudo-jodorowskien au centre de son récit, le point fixe vers lequel tous les regards sont invités à converger. Là où, d’ordinaire, nul n’ose poser les yeux, l’acteur-réalisateur nous exhorte à adopter une trajectoire attentionnelle extraordinaire. Comme si, faisant le chemin inverse de Jacques Lacan, qui avait fait fabriquer un panneau-masque pour recouvrir L’Origine du monde de Courbet dont il fut un temps propriétaire, Laurent Lafitte déchirait le rideau et s’amusait à jouer à cache-cache avec l’impensable.

L'Origine du monde de Laurent Lafitte. Copyright Laurent Champoussin.

Ainsi opte-t-il pour une grammaire cinématographique singulière et place sa caméra face à ses comédiens (Karin Viard, Vincent Macaigne, Hélène Vincent et lui-même), à hauteur de regard, de sorte que ce dernier semble presque adressé au spectateur – « c’est un principe qu’utilisent souvent les frères Coen et que j’aime beaucoup », explique Laurent Lafitte. Cette frontalité très assumée l’autorise, par ailleurs, à naviguer sur le terrain du surnaturel, et faire du sortilège qui prend d’assaut son personnage l’outil concurrent de la psychanalyse, afin d’affronter la question cruciale des secrets de famille et leurs pernicieux effets. C’est le côté face de ce film, qui dévoile avec pudeur la part intime et plus profonde du projet.

Certaines séquences poussent la cocasserie tellement loin qu’on éclate de rire (celle de l’apéro nudiste, par exemple, rappelle la savoureuse série britannique The League of Gentlemen et son « nude day »), tandis que d’autres diffusent un malaise certain. On navigue ainsi, en alternance, de la stupeur à l’adhésion, dans cette fable (dé)culottée, où le rire et les ombres se partagent le territoire.

 

Anne-Claire Cieutat