Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry

Mots contre maux

La justice restaurative est le socle de ce magnifique film choral, qui parle de réparation et de lien, entre victimes et agresseurs. Le troisième film de Jeanne Herry est servi par une troupe de comédiens étourdissants.

Réconcilier l’irréconciliable… Réparer l’irréparable. Ils ont été attaqués, agressés, volés, et ils veulent en parler. Avec des détenus qui, eux-mêmes, ont commis ces méfaits sur d’autres gens qu’eux.  Ils ne sont pas seuls, mais encadrés par deux  animateurs entraînés à ces « rencontres », Fanny et Michel (Suliane Brahim et Jean-Pierre Darroussin) et deux bénévoles bienveillants (Anne Benoît et Pascal Sangla). Ils sont six (Miou Miou, Leïla Bekhti et Gilles Lellouche d’un côté ; Dali Benssalah, Birane Ba, Fred Testot, de l’autre) et font cercle dans une salle de la prison. La justice restaurative leur propose quinze heures de face-à-face à raison de trois heures sur cinq semaines. Et ils parlent et ils écoutent. En parallèle, dans le bureau d’une médiatrice (Élodie Bouchez), une jeune femme, Chloé (Adèle Exarchopoulos), demande à rencontrer son grand frère, qui vient de s’installer dans sa ville après avoir purgé une peine de prison à la suite de la plainte qu’elle avait déposée contre lui, adolescente.

Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry. Copyright Christophe Brachet - 2022 – CHI-FOU-MI PRODUCTIONS – TRESOR FILMS – STUDIOCANAL – FRANCE 3 CINEMA.

Jeanne Herry, pour son troisième film après Elle l’adore et Pupille, observe à la loupe la façon dont la justice restaurative, organisée depuis 2014 en France en prolongement de la justice pénale, aide et répare non seulement des victimes, mais aussi des agresseurs. Très documenté, son scénario est habilement tissé ; il crée des îlots de fiction, où se déploie l’empathie et où règne l’émotion. Autant chez les personnages que chez les spectateurs. Ce n’était pas gagné sur le papier, mais on sait depuis le remarquable Pupille – qui basait déjà sa fiction sur un phénomène sociétal, l’adoption – la capacité de Jeanne Herry à circonscrire le réel sans jamais oublier d’en faire du cinéma.

C’est une affaire de mots et de regards, de parole qui devient action, dans des salles où des hommes et des femmes sont assis en rond. C’est une affaire de cinéma aussi : comment regarder ces êtres meurtris, figés, apeurés, en colère, en souffrance, en réaction, comment restituer les tréfonds de leur âme à travers ce qu’ils disent et aussi ce qu’ils ne disent pas ? En préparant au millimètre un tournage à plusieurs caméras et en s’entourant d’acteurs inventifs et bouleversants, qui viennent à bout de monologues à la puissance d’évocation bienfaitrice. 

La justice restaurative a pour but de « libérer les émotions par la parole » et ce beau film choral est comme un baume, une consolation. Sans donner de leçon, mais en nous apprenant l’existence de cette justice, que peu de gens connaissent, il filme les visages comme des paysages et célèbre la force du collectif. Et la beauté des sentiments insoupçonnés qui affleurent quand on veut bien se donner la peine d’écouter l’autre.