Jeunes Mères de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Naître mère

Pour leur treizième fiction et dixième en compétition au Festival de Cannes, les frères belges creusent leur sillon en suivant cinq très jeunes mères dans un foyer. Et touchent à l’âme et au cœur.

Une très jeune fille, le ventre rond attend, téléphone, s’affole, aborde une dame et lui demande, fébrile, si elle ne cherche pas, par hasard, Jessica. C’est son prénom, elle n’a pas dix-huit ans et attend sa mère qu’elle ne connaît pas, pour lui demander pourquoi elle l’a abandonnée. Car, à l’heure de mettre elle-même au monde son enfant, Jessica cherche des réponses. Elle vit avec d’autres en Belgique dans une « maison maternelle », foyer d’accueil pour jeunes mères isolées, où infirmières et assistantes sociales les aident à vivre ce moment, à prendre des décisions. À avancer.

Avancer. C’est le maître mot des films des frères Dardenne, au sens propre comme au sens figuré. Malgré tout ce qui, socialement, affectivement, sociétalement, bloque. Leurs personnages, quand ils ne pédalent pas frénétiquement sur une bicyclette (La Promesse, Le Gamin au vélo), ne courent pas dans tous les sens (Tori et Lokita), marchent à pas rapides d’un point à un autre (Rosetta ; Six jours, sept nuits). Dans Jeunes Mères, Jessica, Perla, Ariane et Julie déambulent à toute blinde dans les rues d’une banlieue liégeoise, éternel lieu de cinéma des Dardenne, territoires déshérités où le chômage et la misère font rage. À part Jessica, qui ouvre le film alors qu’elle est en passe d’accoucher, ces jeunes mères poussent toutes un landau, point d’ancrage et d’appui, point d’accrochage aussi, vers des destinations différentes. Perla veut rejoindre le (trop jeune) père de son fils, rêve d’une vie à deux, mais le gamin est plus enclin à retrouver ses copains. Ariane est tiraillée entre les désirs de sa mère toxique et sa décision de faire adopter sa fille Lili, lui donner une vraie famille, un avenir sûr, avec des chances qu’elle n’a pas eues. Julie a un travail, un compagnon, bientôt un logement ; tout irait pour le mieux si le spectre de la rechute dans l’addiction, présent à chaque coin de rue en la personne de dealers qu’elle a beaucoup fréquentés par le passé, n’étendait sur elle son ombre de nuit.

Tout est fort et juste dans ce film rapide et bouleversant. Saisissant comme toujours le réel à travers leur fiction, leur caméra au plus près des corps, des gestes nouveaux (langer, nourrir un bébé), Jean-Pierre et Luc Dardenne suivent des petits bouts de bonnes femmes dont le destin nous chavire. Quatre destins plus un, celui de Naïma qui ouvre le film et entrebâille les portes de l’espoir : elle quitte le foyer avec son bébé, a renoué avec sa mère, a trouvé un travail. Et, lors d’un repas dans le jardin, la petite communauté respire à l’unisson des bonnes nouvelles qui existent. Le reste du temps, ce sont des parcours individuels dehors, des activités collectives dedans, avec l’aide bienveillante, accueillante, à bonne distance, du personnel soignant. Qui ne peut pas tout, mais fait beaucoup. Toutes inconnues, la plupart débutantes, les jeunes comédiennes sont d’une présence évidente. Là, inquiètes ou perdues, tiraillées et volontaires, elles sont la vérité sur grand écran.