Cannes 2019 : Le Jeune Ahmed

De la lumière à l’ombre

Un adolescent musulman se radicalise et se donne un but terrible jusqu’à l’obsession. Le film le plus sombre des frères Dardenne avec un jeune acteur saisissant.

Ahmed a 13 ans ; du jour au lendemain, il a arrêté de jouer à la Play Station, a retiré les posters de sa chambre, s’est mis à faire ses ablutions, prier plusieurs fois par jour et fréquenter assidûment la mosquée. Il sermonne sa mère, alcoolique, sa sœur habillée « comme une pute »… Assistant au cours de soutien scolaire de Madame Inès, il refuse désormais de lui serrer la main ; et lorsque l’imam traite d’apostat qu’il faut châtier cette prof désireuse d’enseigner l’arabe à ses élèves à travers des chansons populaires et non seulement dans le Coran, Ahmed le prend au mot. Il tente de tuer Madame Inès. La suite se déroule entre un centre de rééducation pour mineurs et des travaux dans une ferme, où Ahmed rencontre une gamine de son âge à qui il plaît, et qui le trouble.

Ahmed est sans doute le plus opaque, le plus obtus de tous les personnages imaginés par les frères Dardenne. Le moins « aimable » aussi. Rien ne semble l’atteindre, en dehors de sa foi inébranlable, de son désir de djihad, pour suivre le même chemin que ce cousin mort en martyr, son modèle absolu. Et c’est glaçant et troublant d’emboîter, à la suite de la caméra, son pas sur ce terrain glissant. Et c’est terrible et effrayant d’observer son visage buté sous ses boucles brunes, derrière ses lunettes sages. Idir Ben Addi, dans le rôle d’Ahmed est d’une justesse remarquable, et tout le casting est une fois de plus, une fois encore, impeccable.

N’était cette fin, presque plaquée, que nous ne révélerons pas ici, et qui rend l’ensemble imparfait, il y a dans Le Jeune Ahmed une force ravageuse. Ce que scrutent Jean-Pierre et Luc Dardenne, avec cette façon bien à eux de documenter la fiction, c’est le mal à l’œuvre chez un enfant, l’impossible retour en arrière, un mystère jamais élucidé. C’est également ce qui rend le film aussi désagréable qu’essentiel. Là où Igor, Rosetta, Francis et Cyril luttaient pour la vie et la lumière, Ahmed se bat pour la mort et la nuit.