Camille

Prendre part

Une jeune reporter photographe plonge en 2013 dans le conflit en Centrafrique. Sur les traces de Camille Lepage, le réalisateur de Hope tisse un film vivant, vibrant, sur les guerres et le nécessaire regard extérieur, qui prend part, témoigne et porte aux yeux du monde une réalité violente et complexe.

Centrafrique, 12 mai 2014. Des soldats français croisent des « anti-Balaka », un convoi armé de jeunes gens à moto suivis d’une camionnette. À l’arrière de celle-ci, cinq corps gisent sous une bâche. Des pieds en dépassent, ceux de quatre Centrafricains et ceux d’une femme blanche. « Regardez-ce qu’ils ont fait », dit quelqu’un.

L’histoire de Camille est celle d’une femme, Camille Lepage, photojournaliste indépendante de 25 ans, qui s’est rendue en Centrafrique en pleine guerre civile où « Séléka » (chrétiens) et « Anti-balaka » (musulmans) s’affrontent, entre novembre 2013 et mars 2014. C’est aussi l’histoire d’un regard qui évolue, d’une vocation qui se forge et se précise au fil des événements.

Nous découvrons la jeune femme en septembre 2013, lors d’un festival de la photographie à Perpignan, montrant ses images prises au Soudan à un vieux professionnel. Celui-ci leur trouve des qualités, mais dit qu’en les regardant, il ne sait pas ce qui l’intéresse, elle. Quel est son style ?

On retrouve ensuite Camille à Bangui, en novembre 2013 : elle prend des photos lors d’une manifestation pacifiste de très jeunes gens contre les « Séléka », à la solde du président Djotodia. Elle accompagne ces étudiants dans leur résidence universitaire, rencontre Cyril, jeune rappeur en colère, et Leïla, née d’une mère chrétienne et d’un père musulman…

Il y a du documentaire dans cette deuxième fiction de Boris Lojkine après le très beau Hope (2014). Une manière de recréer le réel, avec respect et humanité, insérant des bandes d’actualités d’époque et les photographies de Camille Lepage, images arrêtées, colorées et vivantes, où la mort pourtant est omniprésente. Il y a aussi la volonté de réinventer cette réalité, de montrer le hors-champ et le contrechamp de ces photos, de raconter l’irracontable guerre. La douleur, l’injustice, la mort.

Et puis, Camille. Déterminée, engagée, pleine d’élan. Qui veut observer et photographier, comprendre et relayer, dire au monde que des gens meurent… Camille, aussi à part au milieu de ses collègues reporters, baroudeurs aguerris et un peu désabusés, que parmi les jeunes Centrafricains de son âge ayant pris les armes et sillonnant les villages à moto. Camille, limpide et opaque, solide et naïve, qu’un confrère tente de remettre à sa place : « Tu ne peux pas rencontrer les gens, tu es d’un côté de l’objectif et eux de l’autre ! Tu es foutue si tu fais-ça… »

Boris Lojkine regarde une femme qui regarde et filme au plus près son actrice, Nina Meurisse, qui semble se transformer peu à peu sous l’œil de sa caméra. Sous l’apparence joyeuse et presque juvénile, on jurerait la voir blêmir et frémir. Camille, à la fois hommage et quête, témoignage et rêverie, sonne juste et grave. Parcouru d’un inextinguible amour de la vie.