Amanda

Le jeune homme et l’enfant

Autour du deuil et de la paternité, Mikhaël Hers tisse un récit ultrasensible et offre à Vincent Lacoste un de ses plus beaux rôles à ce jour.

Paris, un jour d’été. David a 24 ans et jongle entre deux jobs. Quand il n’est pas suspendu à un arbre pour l’élaguer, il fait la navette entre les gares de Paris, où il accueille des touristes, et l’appartement dont il gère l’intendance pour le compte d’un propriétaire. David s’occupe aussi de sa nièce, Amanda, qu’élève seule sa sœur, Sandrine. Ce jeune homme affable et rieur ne cesse de courir, mais un jour soudain, son mouvement perpétuel est stoppé net par un attentat meurtrier. Dès lors, il doit s’occuper seul de sa nièce et trouver un nouvel équilibre.

L’absence et le deuil hantent le cinéma de Mikhaël Hers, qui exprime avec hypersensibilité la fragilité de l’existence. Plus encore que dans ses très émouvants Memory Lane et Ce sentiment de l’été, il filme ici au présent, au quotidien, la reconquête du mouvement de la vie quand celle-ci a été détruite.

Vincent Lacoste et Ophélia Kolb dans Amanda. Copyright Nord-Ouest Films.

Le souvenir des attentats qui ont traumatisé la France en 2015 teinte ce mélodrame assumé. Amanda raconte cette blessure, la violence qui a envahi notre époque, cet avant-après et ses ajustements afférents. Ce beau film s’affranchit de toute fausse pudeur et affronte les émotions fortes induites par son sujet. Comment annoncer à une petite fille qu’elle ne verra plus jamais sa mère ? Comment filmer la violence d’un attentat à juste distance et sans détours ? Mikhaël Hers y parvient en trouvant le bon équilibre entre frontalité et délicatesse. La douceur de sa lumière (signée Sébastien Buchmann), souvent captée entre chien et loup, a des reflets mélancoliques reconnaissables entre mille. Sa caméra sillonne un Paris non touristique et met en valeur son immense beauté. Car Hers filme les villes avec une rare finesse. Comme dans Ce sentiment de l’été, dont l’action naviguait entre Paris, Berlin et New York, sa mise en scène raconte la solitude des êtres, mais aussi la possibilité d’un réconfort. Il filme, dans Amanda, la lente réadaptation des êtres à un espace meurtri, le décalage entre les habitants touchés par la tragédie et l’insouciance des touristes ; les lieux publics devenus interdits d’accès et la ville désertée, le lendemain du crime. Son cinéma restitue avec justesse cet état de fait, ces instants de sidération, de vie suspendue.

Présent dans chaque séquence ou presque, Vincent Lacoste bouleverse. Sa désinvolture naturelle valse ici avec une gravité qu’on lui avait rarement vue à l’écran. Celui qu’on a découvert à l’âge de 16 ans dans Les Beaux Gosses de Riad Sattouf a grandi sous nos yeux et gagné en épaisseur et en charme de film en film – et c’est émouvant à observer. Face à lui, la jeune Isaure Multrier incarne Amanda dans un mélange d’innocence et d’étonnante maturité. Autour, plusieurs figures de féminité apparaissent : elles sont incarnées par Ophélia Kolb (formidable aussi dans la série Dix pour cent, diffusée actuellement), Marianne Basler, Greta Schacchi et Stacy Martin. Mikhaël Hers les filme avec amour et délicatesse. Une alchimie opère entre les interprètes et sa mise en scène. En émane une grâce, cet état passager, que très peu de cinéastes parviennent à faire naître.