À vendredi, Robinson

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À travers le récit d’une rencontre épistolaire entre Ebrahim Golestan et Jean-Luc Godard, À vendredi, Robinson propose l’étonnant portrait de deux solitudes, qui se sont bien trouvées.

Quelle étrange idée de faire se rencontrer ces deux cinéastes, qui n’ont en commun que leur place de choix dans l’Histoire du cinéma. Ebrahim Golestan est l’un des plus grands écrivains et cinéastes iraniens – même si son œuvre est encore peu connue en France. Quant à Jean-Luc Godard, on ne le présente plus. Sous l’impulsion de Mitra Farahani, les deux monstres sacrés entament une correspondance. Alors qu’on pourrait craindre une discussion un peu trop théorique sur l’art du cinéma, c’est d’abord un échange sous forme d’énigme qui commence à s’installer, au rythme d’un e-mail par semaine, chaque vendredi. Jean-Luc Godard envoie le premier vendredi à Ebrahim Golestan quelques images, des morceaux de peintures, des extraits de livres, jouant du métissage des œuvres, faisant résonner Goya avec Joyce pour créer du sens. Comme un message codé, dans le pur style godardien, l’e-mail nécessite donc un décryptage. Golestan tente alors une interprétation, et répond par un long texte, où il évoque aussi son expérience, et la révolution iranienne qui l’a forcé à quitter son pays. Mais la semaine suivante, la réponse est encore plus énigmatique. Toujours ce mélange de citations puisées dans une culture classique, que l’on retrouve dans tous les films de Godard. Mais aussi, un morceau de l’écriture en farsi de Golestan, qui, prise seule, ne veut rien dire. Après s’être acharné longtemps à tenter de comprendre ce nouveau rébus, Ebrahim se rend compte qu’il n’y a peut-être rien à comprendre. Leur dialogue, qui aurait alors pu s’arrêter, prend au contraire une autre direction, plus ludique. Et semaine après semaine, c’est une vraie complicité qui s’installe entre les deux hommes, malgré la distance de la culture et des kilomètres. Tout semble les opposer, à commencer par leur décor : Golestan vit dans une impressionnante demeure victorienne du Sussex, aux hauts plafonds et aux pièces nombreuses, tandis que Godard – qui se filme régulièrement – est dans sa petite et banale maison suisse de Rolle. Ce sont pourtant deux hommes âgés et solitaires – même si, l’un comme l’autre, sont entourés. C’est là que le film de Mitra Farahani est le plus touchant : non pas dans la rencontre de deux artistes de légende, mais dans sa description d’une amitié complice entre deux vieillards malicieux qui n’ont plus rien à prouver. Évidemment, la mort de Jean-Luc Godard, survenue presque simultanément à la sortie du film, le revêt d’une émotion particulière, notamment lorsque Godard évoque la question du suicide. Mais c’est dans ces scènes ordinaires pour un individu de plus de quatre-vingt-dix ans – marcher avec une canne ou couper son vin avec de l’eau – qu’À vendredi, Robinson amuse et émeut le plus. Et voir ces grands artistes filmés avec tendresse dans leurs gestes du quotidien, faire, comme n’importe qui, une recherche sur Google ou un selfie avec leur iPhone, c’est rappeler, alors qu’on célèbre toujours – et c’est bien normal – les œuvres, qu’il y a toujours, derrière, des auteurs.