Keeper

La note bleue

Keeper : un premier film qui restera. C’est l’impression immédiate qui résulte de la vision de ce coup d’essai et coup de maître, premier long-métrage de Guillaume Senez à la suite d’une série de courts déjà prometteurs. Après un beau parcours dans plusieurs festivals, Keeper a reçu le Grand Prix du Jury au dernier Festival Premiers Plans d’Angers.

Film sur l’adolescence, à la fois rare, fort et fragile, Keeper raconte le trajet de Maxime et Mélanie, deux adolescents de quinze ans qui s’aiment dans l’insouciance d’une vie plus ou moins tranquille. Soudain, Mélanie tombe enceinte. Maxime est désarmé. Il se replie dans une angoisse qui mue petit à petit en un véritable désir de paternité. Bravant leur entourage et malgré leur jeunesse, les adolescents décident alors d’assumer l’arrivée de leur enfant…

Guillaume Senez ne s’est pas lancé dans la réalisation de Keeper par hasard. Il avait déjà réalisé un court-métrage autour du thème de l’adolescence (Dans nos veines). Après cinq longues années d’un montage financier compliqué, ce nouveau réalisateur franco-belge a ainsi eu le temps de mûrir son projet de premier long-métrage avec pertinence et ténacité. Ancien entraîneur de football avant de se convertir au cinéma, il a eu d’emblée le talent d’avoir su créer autour de lui une équipe gagnante animée par un seul but : la justesse à l’écran.

Le choix des acteurs et leur jeu constituent une somme inédite de fulgurances sur près de 95 minutes. Kacey Mottet Klein, qui interprète Maxime, n’est pas totalement un inconnu. Il avait endossé le rôle du fils d’Isabelle Huppert dans Home d’Ursula Meier, la réalisatrice ne tarissant pas d’éloges à son sujet et le qualifiant pas moins que de « Stradivarius ». Il est dans Keeper d’une authenticité et d’une sincérité absolues. Naviguant dans les paradoxes propres à l’adolescence, entre hésitation et obstination, il est tour à tour désespérant et attachant, toujours captivant. Portant de bout en bout l’émotion du film principalement centré sur lui, il est comme l’allégorie d’un héros fragile vivant dans un monde qui le dépasse, où il est toujours à deux doigts de vaciller, se rattrapant à chaque fois in extremis. Les bouleversements intérieurs qu’il parvient à traduire au détour de son visage et de son allure atypiques font partie des moments les plus émouvants du film. Sous le regard sec et sans atermoiement de Guillaume Senez, nous assistons ainsi à la naissance d’un grand acteur. André Téchiné, grand amateur des tergiversations adolescentes, ne s’y est d’ailleurs pas trompé en lui confiant l’un des rôles principaux de son dernier opus, Quand on a 17 ans (également en salle ce mois-ci).

À ses côtés dans le rôle de Mélanie, Galatea Bellugi (qui fut dirigée par Ariane Mnouchkine, Jérôme Bonnell et dans  À 14 ans d’Hélène Zimmer) prête, quant à elle, sa candeur désespérée et malmenée, attisant le feu de situations à l’état d’implosion. Et plus encore, ce sont l’ensemble des rôles secondaires, en particulier les mères respectives (Laetitia Dosch et Catherine Salee), qui apportent un contrechamp salutaire à la frayeur adulte. S’il est vrai que Guillaume Senez revendique pleinement avoir voulu traiter du thème assez inhabituel de la paternité au travers d’un adolescent, il porte aussi un regard très intense sur la maternité : mettant le doigt sur ce qu’elle implique dans sa forme irrépressible et corrosive, il se défend par ailleurs de toute forme d’arbitrage, dans un respect total des points de vue et au fond, du spectateur.

Tout comme les jazzmen ou Abdellatif Kechiche, Guillaume Senez est amateur de cette fameuse « note bleue »  qui fait émerger une sacro-sainte « vérité », lui permettant de créer ainsi un pur « document » d’acteurs. Son brio tient aussi dans l’approche sensible qu’il a à se tenir au plus près de thèmes qu’il connaît parfaitement. Après l’éclat magnifique de Keeper, son trajet futur est à suivre de très près.