La direction d’acteurs de Guillaume Senez

Réalisateur de Keeper

Avec Keeper, à voir en salle dès le 23 mars, le jeune réalisateur belge Guillaume Senez, ancien élève de l’école INRACI en Belgique (équivalent de Louis-Lumière en France) et auteur de trois courts-métrages professionnels (La Quadrature du cercle, Dans nos veines, U.H.T.), signe un premier long-métrage épatant. Autour de la grossesse d’une adolescente de 15 ans, il suit la trajectoire d’un tout jeune couple qui se décide à garder son enfant. Kacey Mottet Klein, Galatéa Bellugi, les deux ados, comme les comédiens qui incarnent leurs parents, Laetitia Dosch et Catherine Salée, en tête, sont tous d’une justesse à couper le souffle. Du casting au montage, description d’une direction d’acteurs remarquable par Guillaume Senez.

Extraits du casting de Keeper : ici, Galatéa Bellugi (Mélanie, dans le film) est face Arthur Mas, qui a figuré parmi les finalistes pour le rôle de Maxime et qui joue un petit rôle dans le film.

LE CASTING


 « Arthur Penn disait que 80% de la direction d’acteurs, c’est le casting. J’ajouterai, moi, le montage. Et, bien entendu, il y a le travail qu’on fait avec les comédiens en amont et sur le plateau. Je travaille avec une directrice de casting à Paris qui s’appelle Laure Cochener, qui est formidable. J’avais déjà travaillé avec elle sur mes courts-métrages et elle ne m’a jamais montré de mauvais comédiens. Pour Keeper, on a vu entre 100 et 200 adolescents, puis Ursula Meier, à qui j’avais demandé de me faire un retour sur scénario, a commencé à me parler de Kacey Mottet Klein. Je me souvenais de lui dans son film L’Enfant d’en haut, j’avais gardé le souvenir d’un gamin un peu frêle, alors que j’avais besoin de quelqu’un de sportif. Ursula m’a dit qu’il avait changé et qu’il fallait que je le rencontre, car c’était un Stradivarius. Je l’ai rencontré et, en effet, sur le plan du jeu, il était nettement au-dessus des autres.

Mais au-delà de trouver un comédien, il fallait trouver un couple. Donc, en casting, on faisait venir un garçon et une fille à chaque fois pour essayer des choses en impro. Au deuxième tour du casting, on leur faisait essayer des impros sans dialogues, par exemple. Et il y a des choses assez formidables qui sont sorties de ça. Quand Galatéa Bellugi a débarqué, elle a amené un peu l’inverse de Kacey, à savoir une fragilité et une timidité, alors que Kacey est bien dans son corps, avec le charisme qui lui appartient. On dit souvent que les contraires s’attirent et c’est exactement ce qui s’est passé là. Au dernier tour de casting, j’avais demandé à Laetitia Dosch, qui joue la mère de Mélanie, de venir. Elle était hallucinée de voir ce qui se passait avec ces deux gamins : il y avait une espèce d’évidence, alors qu’ils sont très différents, qu’ils ne viennent pas du même milieu. »


LA PRÉPARATION


« Comme il me fallait une complicité dans le couple Maxime-Mélanie, j’ai fait habiter ensemble Kacey et Galatéa, dans une petite maison à Bruxelles, un mois avant le tournage. Ils ont appris à se connaître, on a fait des activités, on a commencé doucement à parler du film, des rôles, des scènes. Une des grandes spécificités de mon travail est que je ne donne pas le scénario à mes comédiens. Ils connaissent le scénario, il n’y a pas de secret, mais ils n’ont pas les dialogues. Ils ont dans les mains une sorte de résumé avec deux phrases par séquence pour qu’ils s’y retrouvent, mais pas plus. En revanche, on a parlé énormément des personnages et ils connaissaient bien les relations entre eux.

Puis on a fait des impros : leur première rencontre, la première invitation à sortir, la première fois qu’ils se sont dit « je t’aime », ce genre de choses. Et une fois que je sentais que les personnages commençaient à être en place, j’ai fait venir les acteurs qui jouent les parents. On a fait des impros ensemble, les adultes n’ayant pas non plus le scénario. Et dès que les personnages étaient là, on a arrêté les répétitions pour ne pas perdre la spontanéité. »


LE TOURNAGE


« Comme les acteurs n’ont pas le scénario et qu’on tourne en plans-séquences, je leur explique la séquence et je la leur resitue par rapport à l’histoire. Je leur donne un objectif de scène, on fait une première improvisation et après, on en discute. Ensemble, on arrive au texte, mais les mots et la façon de bouger viennent d’eux. Il y a finalement très peu de différences entre le scénario écrit et le film fini. De temps en temps, je leur donne une phrase ou un mot dont j’ai besoin pour la continuité narrative, mais la plupart du temps, ces mots dont j’ai besoin, ils les sortent d’eux-mêmes, car nous avons le même processus mental. Moi, quand j’écris, je me mets en empathie avec les personnages, et eux font le même travail sur le plateau, donc souvent, le résultat est très proche. Ça donne une spontanéité que j’aime bien, et les mots de mon adolescence à moi ne sont plus les mots des ados d’aujourd’hui, donc c’est important qu’ils puissent incarner ces personnages avec leurs mots à eux. Le résultat n’est donc pas de l’impro totale, ce n’est pas non plus totalement écrit, la vérité est quelque part entre les deux. C’est un travail que j’aime bien, car il est fait dans la collectivité. Moi, je sais où on va, mais je ne sais pas comment, et ce qui me plaît, c’est qu’on y va ensemble. Tout le monde participe, les comédiens, évidemment, moi, et l’ensemble de l’équipe technique.

Tout est basé sur la direction d’acteurs, en fait. Mon chef-opérateur, par exemple, vient du documentaire et il me disait de lui garder un angle de 15 degrés pour poser son éclairage, mais de prendre le reste de l’espace pour les comédiens. Le son s’adaptait aussi. Sur le tournage, on faisait une répétition qui était filmée, et souvent il y avait des regards ou des gestes que j’ai pu retenir au montage. Puis, au fil des répétitions, ça devenait de plus en plus construit et on arrivait ensemble au texte. C’était ma méthode de travail, malgré les contraintes de tournage : on a eu deux fois moins d’argent qu’on aurait dû avoir, on a tourné en vingt-cinq jours, ce qui fait un ratio de minutes de film par jour à tourner proche du téléfilm. On m’a enlevé cinq jours de tournage pour raison budgétaire, ce qui m’a obligé à réécrire, ça a été difficile, on allait rarement au-delà de dix prises, mais grâce à l’impro, on obtenait quelque chose de juste très rapidement. À partir du moment où les personnages sont là, ça va très vite. Quand on m’a dit qu’il fallait raccourcir le tournage de cinq jours, j’ai répondu : on fait tout ce que vous voulez pour gagner du temps, mais je ne change rien à ma direction d’acteurs, rien à ma méthodologie. »


LA PLACE DE GUILLAUME SENEZ SUR LE TOURNAGE


« Je suis planqué dans un coin, car on tournait en plans-séquences et il y avait une recherche de la captation avec le chef-opérateur. De temps en temps, je leur glissais un mot ou une phrase pendant les prises, mais c’était ponctuel. Je leur laissais énormément de liberté. On tournait parfois dans des endroits exigus, donc il arrivait que l’on soit planqués dans la pièce d’à côté. Je travaille au casque et au moniteur, mais aux répétitions, je regarde les comédiens sur place. »

 


LE MONTAGE


« Au montage, on essaye de sublimer ce qu’on a. C’est aussi là que tout se passe. Il faut aller attraper les petits moments de vérité, d’intensité, qui sont rares à capturer. J’ai la chance de travailler avec une monteuse avec qui j’ai fait tous mes films et en qui j’ai énormément confiance. Elle s’appelle Julie Brenta et elle travaille aussi en montage son – elle avait eu le César pour le montage son de L’Exercice de l’État, par exemple. Elle a une oreille, un vrai sens musical. »