Chantons sous la pluie

Inextinguible joie

Au générique, le trio en ciré jaune marche vers moi en entonnant « Singin’ in the Rain », immédiatement un sourire béat s’installe sur mon visage. Au fil de la projection, une inextinguible joie m’envahit. Je fais des bonds, je lévite. Il y a tout d’abord l’énergie de la musique, l’oxymore induit par les paroles de cette rengaine de la fin des années vingt, signée Arthur Freed, sur laquelle s’est bâti le scénario : car chanter sous la pluie, c’est braver les obstacles et sourire aux fâcheux. Ce n’est pas une chanson, c’est un programme. Il en va de même du film entier, profession de foi merveilleuse qui dit sur tous les tons que le travail, l’amitié, l’amour et le talent triomphent de tout.

Les moments chantés sont un bonheur absolu. Bien que mille fois vue et revue, citée et parodiée un peu partout, la séquence de la chanson titre est une merveille dont on ne se lasse pas : Gene Kelly, trempé comme une soupe et fou amoureux, s’accroche à un réverbère, saute dans les flaques sous le nez d’un policier affligé, puis offre son parapluie à un passant pressé. « Make ‘Em Laugh », où Donald O’Connor fait le pitre, évite une planche, s’y juche, puis la prend derrière l’oreille, drague un mannequin sans tête et marche sur les murs, est un remède à elle seule contre la mélancolie. « Moses » (chanson écrite pour le film), qui reprend les répétitions et allitérations d’un professeur de diction et dont un « Woop Pee Doo peee doo pee doo » donne le signal de départ pour une chanson endiablée et un vertigineux numéro de claquettes de Kelly et O’Connor, est d’une fluidité stupéfiante…

La bonne humeur du film est communicative, ses doubles fonds en font le sel. Car l’époque racontée – le Hollywood de 1927, avec le passage du muet au parlant – est aussi une période qui a vu des stars comme John Gilbert, Buster Keaton ou Gloria Swanson perdre du jour au lendemain tout ce qu’elles avaient : la gloire, l’éclat, les contrats en or, l’admiration des foules. Le personnage de Lina Lamont (géniale Jean Hagen), vedette bête et méchante à la voix de crécelle, est la vilaine idéale qu’on voit ridiculiser sans souffrir pour elle. Lorsque R.F. Simpson (le producteur dans le film), Don Lockwood et Cosmo Brown se dirigent en mesure vers les câbles du rideau de scène pour dévoiler la supercherie (Kathy Selden chantant pour Lina qui se contente de remuer les lèvres), la jubilation est à son comble. J’aime tout dans ce film : les souvenirs des débuts de Don et Cosmo dont l’image infirme l’évocation très « success story pour magazines », la déclaration d’amour avec projecteur pour figurer le soleil et ventilateur pour le vent, les épisodes cinéma dans le cinéma avec l’impossible sonorisation… J’aime le sourire de Gene Kelly, son aisance qui fait oublier les heures d’entraînement, j’aime les yeux malicieux et les clowneries de Donald O’Connor, j’aime les joues potelées et la grâce de Debbie Reynolds. À la fois comédie musicale, hommage à Hollywood, réflexion sur le pouvoir du cinéma et le vrai et le faux, romance et bain de jouvence, Chantons sous la pluie est un film parfait, essentiel, inouï.