Cannes 2025 #J8 - Mardi 20 mai

Plus dure sera la chute

La France a perdu l’Eurovision et à Cannes, rien n’est gagné pour le cinéma tricolore. Ne me tapez pas, je n’y suis pour rien….

Il pleut, les films déçoivent. Il n’en faut pas plus pour que d’aucuns commencent à donner tous les signes d’une humeur atrabilaire. Alors que la puissance de certaines œuvres nous avaient propulsés sur un nuage, force est de constater qu’on est en pleine descente. Enfin, pas tous. C’est la beauté du cinéma qui nous divise pour mieux nous rassembler. Et le Festival de Cannes est un lieu d’exagérations dans tous les sens.

Ainsi hier, deux journalistes s’extirpant de la projection de presse de Alpha de Julia Ducournau à minuit douze (oui, on s’est tous transformés en citrouille ; perso, je suis en potage à la citrouille) certifiaient que c’était « la pire daube du Festival », voire « de leur vie ». Ah ben non, les gars, il faut savoir raison garder, pas d’accord je suis (Yoda, sors de ce corps !). Alors clairement, toutes les obsessions organiques et monstrueuses sont au rendez-vous donné par la réalisatrice de Grave et de Titane (Palme d’or 2021, remise par Spike Lee, qui justement, correspondance jolie, foulait les marches du tapis rouge pour présenter Highest 2 Lowest hors compétition). Une mère et sa fille adolescente, un oncle toxico (Golshifteh Farahani, Mélissa Boros, Tahar Rahim), un virus propagé par le sang qui ravage les corps, leur donnant un aspect marmoréen, une croyance familiale dans le vent rouge qui emporte et rend fou… Des scènes sublimes, inoubliables (la coccinelle, la piscine) émaillent ce récit de contamination et de peur à la chronologie cassée. Mais les redondances thématiques et la musique surabondante finissent par bloquer l’intérêt, noyer le désir et l’adhésion sensorielle. D’autant que les acteurs, plutôt convaincants dans la première partie, semblent eux aussi perdre pied. Dommage.

L’autre film de la compétition Les Aigles de la République du Suédois né d’un père égyptien, Tarik Saleh (Prix du scénario en 2022 pour La Conspiration du Caire) est un thriller politique somme toute classique et assez convenu. Son acteur fétiche Fares Fares est grandiose en… star absolue du cinéma. Son fils étant menacé de mort, il accepte à contrecœur d’interpréter (sans maquillage, et donc sans ressemblance) le président Abdel Fatah al-Sissi dans un biopic téléguidé par le pouvoir en place. Et puis après, tout le monde trahit tout le monde. C’est Le Caire nid d’espions, sans les frasques d’OSS 117/Jean Dujardin, même si c’est assez drôle au début, et donc plaisant. Et puis, de plus en plus prévisible (même si sans doute proche d’une réalité glaçante), cette charge sans finesse produite par l’Europe et tournée en Turquie devient vaine.

Reste l’hommage au cinéma, qui fait écho à d’autres films, même si nos mémoires défaillantes peinent parfois à les reconnecter. Présenté en séance spéciale, Marcel et monsieur Pagnol de Sylvain Chomet raconte, en animation, la vie de l’auteur de Marius, Fanny et César. Devenu vieux et sollicité par Hélène Lazareff, fondatrice du magazine Elle, il accepte de rédiger ses mémoires et convoque ses souvenirs, assisté de son autre lui-même quand il était enfant. La partie cinéma, avec la création des premiers studios français et les vrais extraits de films incrustés dans le dessin sont très émouvants. Mais l’embellissement du personnage, notamment pendant la guerre, chiffonne et on se demande pourquoi les voix sont celles de comédiens non méridionaux qui forcent l’accent.

Avec Nouvelle Vague, l’Américain Richard Linklater retrace le tournage du premier long de Jean-Luc Godard, À bout de souffle, et égrène toutes les étapes de ce tournage homérique. En noir et blanc avec des effets de vieillissement sur la pellicule et des points noirs à droite de l’écran annonçant comme jadis les changements de bobine. Complicité avec le chef-opérateur Raoul Coutard, qui est prêt à se plier en quatre au sens propre, facéties efficaces du premier assistant Pierre Rissient, disputes récurrentes (jusqu’à une homérique bagarre) avec le producteur Georges de Beauregard, dit Beau-Beau, disponibilité de Jean-Paul Belmondo, agacements de Jean Seberg qui réclame un scénario. Ce qui est réussi, ce sont les personnages, qu’on reconnaît, joués par des acteurs qu’on ne connaît pas. Quelques anecdotes font mouche, d’autres, très connues, semblent répondre au cahier des charges d’un « JLG pour les nuls » ; l’ensemble est sympathique et on serait sans doute moins cruels envers Nouvelle Vague s’il n’était en compétition.

Entre le requin des Dents de la mer et le tricycle de La Malédiction, Jean-Paul Belmondo (le vrai) apparaît fugitivement dans L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho (chouchou absolu, vous l’aurez compris) lors d’une bande-annonce du Magnifique de Philippe de Broca, diffusée dans le temple du cinéma où se déroule en partie ce chef-d’œuvre.