Festival de Cannes #J12 Samedi 28 mai

Grosse fatigue

Ce n’est pas fini, mais ça sent la fin. Et l’odeur de la Palme dans le petit matin. Car, ce soir, aux marches du Palais, il y aura foule pour la moisson des prix clôturant ce 75e Festival de Cannes. 

Tandis que le jury, présidé par Vincent Lindon, planche sur son palmarès dans une villa loin de la foule déchaînée, les valises font cliketikli ou boudoumboudoum (en fonction de la marque et de l’usure des roulettes) pour accompagner en rythmes désaccordés la grande transhumance inversée en direction de la gare. Lorsque l’on passe dans les couloirs du Palais, ça sonne creux dans les bureaux vides ou en train de se vider. Dans nos têtes, l’effet étrange du trop-plein d’images se fait sentir, entre appel d’air et cerveau au bord de l’implosion. Je me souviens de Grosse Fatigue de Michel Blanc présenté en compétition en 1994 et récipiendaire du Prix du scénario. Et je ne m’en souviens pas seulement parce que le film – sur la célébrité et ce qu’on en fait – était drôle et diablement réussi, mais aussi parce que son titre, prononcé depuis au fil des ans par divers collègues de différentes nationalités pourrait servir de ralliement à tout le gotha cannois polyglotte : « Aïe Hhhhhave euh gloss feutig ! »

La Quinzaine des Réalisateurs a fermé ses portes en présentant Le Parfum vert de Nicolas Pariser ; le jury Un Certain Regard présidé par Valeria Golino a rendu son verdict : Les Pires, premier long-métrage français de Lise Akoka et Romane Gueret (lire ici) est en haut de leur palmarès, tandis que le Prix du jury rejoint le choix, pour la Queer Palm 2022, de l’aréopage présidé par la réalisatrice Catherine Corsini : Joyland, premier film pakistanais en sélection à Cannes, et premier long-métrage de Saim Sadiq.

Les deux derniers films de la compétition étaient féminins, mais ils furent quelque peu sacrifiés à l’aune des « gloss feutigs ». Lors de la projection officielle à 15 h 15 de Showing Up de Kelly Reichardt en plein horaire postprandial, ça ronflait discret mais ferme et, bien sûr, ce n’était pas à cause du film. Le huitième long-métrage de l’Américaine, qui avait présenté Wendy et Lucy à Un Certain Regard en 2008 et reçu le Carrosse d’or 2022 remis par la SRF en début de Festival, à la Quinzaine des Réalisateurs, est un film qui creuse le même sillon que les précédents. Modeste, mais toujours juste, Showing Up ne fait pas le malin (son titre anglais est ironique, il signifie s’exposer à la fois au sens artistique et au sens m’as-tu vu du terme), mais suit les pas (en chaussettes et en Crocs) de Lizzie (Michelle Williams). Sculptrice de belles et originales statuettes de femmes légèrement colorées, Lizzie est le double de la réalisatrice, qui – à part dans First Cow (2019) – ne cesse de proposer des portraits de femmes, ni déesses, ni prêtresses, mais femmes de tous les jours, avec des préoccupations de tous les jours… Dans Un petit frère, deuxième long-métrage de Léonor Serraille après Jeune Femme, couronné de la Caméra d’or en 2017, Rose (Annabelle Lengronne) débarque de Côte d’Ivoire en banlieue parisienne, à la fin des années 1980. Elle a laissé ses grands enfants au pays, arrive avec les deux plus jeunes, Jean et Ernest. En 116 minutes et beaucoup de finesse et d’ellipses, le film raconte une (dés)intégration, les rêves et les désillusions de cette mère et de ses deux garçons. Tenu, bien que ténu, le film a une grâce qui nécessitait sans doute un écrin moins violent que la compétition dans cette foire (d’empoigne) que devient le Festival, surtout vers la fin.