Festival de Cannes #J11 Vendredi 27 mai

T’as vu la Palme ?

Mais bien sûr que si, la Palme est là, quelque part ! Soit que nous l’ayons vue sans le savoir, soit qu’elle arrive dans les cinq derniers films en compétition. 

Sur la petite planète Cannes, même si le monde extérieur s’est invité plus souvent qu’à son tour, même si nous sommes conscients et informés de ce qui se passe en Ukraine, au Sénégal, en Palestine ou au Texas, la même interrogation est sur toutes les lèvres. « Tu verrais quoi, toi, comme Palme d’or ? ». Est-ce que quelqu’un pourrait me poser une question dont j’ai la réponse ? Oui, les films sont forts, certains très forts. Oui, Armageddon Time de James Gray, Leila’s Brothers de Saeed Roustaee seraient l’un comme l’autre, pour des raisons différentes, du plus bel effet en haut du Palmarès. Oui, à mon avis (que je partage) Tori et Lokita est un très grand film des frères Dardenne. Est-ce une Palme ? Selon mon cœur, oui, mais mon cœur n’a pas voix au chapitre ; et, je l’avoue, mon âme partageuse se dit que, vu que les frères Dardenne ont déjà reçu deux Palmes, ce serait bien de penser un peu aux autres ! Et si Jerzy Skolimowski décrochait la timbale avec EO ? Ça aurait de l’allure, non ? Oui.

Oui, mais au cas où ce détail vous aurait échappé, nous ne sommes pas décisionnaires… Laissons le jury faire. Ce qui nous a totalement échappé, en revanche, c’est la grandeur (et la décadence, sans nul doute) de Pacifiction d’Albert Serra présenté hier en compétition. À Bande-à-Part nous sommes divisés, et certains journaux nationaux, dont Libération, le défendent avec une ardeur qui laisse pantois. Il y a du Duras, de la moiteur, de la langueur, et un regard sur la colonisation française des îles polynésiennes pas inintéressant, certes. Or, dans ce très très long long-métrage de 2 h 45 (mais quand on aime, on ne compte pas : la preuve, Drive My Car de Ryûsuke Hamaguchi dure 2 h 59 et c’était ma Palme d’or 2022), quelque chose d’une pose, d’une improvisation approximative dans le jeu et les dialogues, d’une durée inutile et insoutenable des plans, finit par avoir raison de notre raison. L’effet entonnoir se fait ressentir avec cinq films en compétition pour ces deux derniers jours. Gavés d’images, les festivaliers ont-ils encore toute leur tête ? Rien n’est moins sûr. Et pourtant, les films réclament toute notre attention. C’est mal si on ne les regarde pas bien. 

Auréolé de sa Palme d’or 2018 avec Une affaire de famille, le réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda, sept fois présent en sélection officielle à Cannes (depuis Distance en 2001) revient avec Broker/Les Bonnes Étoiles. Et, dans ce film tourné en Corée, il y a une histoire d’abandon, mais surtout de lien choisi, des acteurs coréens, dont le génial Song Kang-ho (habitué du cinéma de Bong Joon Ho, notamment Parasite, Palme d’or 2019), et des actrices au tempo magnifique, Bae Doona, Ji-eun Lee et Joo-Young Lee. Il y a la mise en scène à la fois simple et généreuse de Kore-eda, sa vélocité à croquer une situation, à en faire jaillir le miel et le sel. Presque tout ce qui, lors de la découverte choc de Nobody Knows en 2004 (Prix d’interprétation masculine à Yûya Yagira), a révélé ce cinéaste merveilleux. 

Et une révélation, le Belge Lukas Dhont en fut une avec son premier long-métrage, l’extraordinaire et bouleversant Girl, Caméra d’or 2018. Il revient, à 31 ans, en compétition avec son deuxième film, Close. Une lumineuse histoire d’amitié fusionnelle entre deux jeunes garçons de onze ans, Léo et Rémi (Eden Dambrine et Gustav De Waele, prodigieux enfants acteurs). Mais sous les courses champêtres, les fleurs ramassées par brassées (les parents de Léo sont horticulteurs) et les sourires immenses des deux garçons, un drame se prépare. Celui de la séparation créée par le regard des autres lors de leur entrée en sixième (première dans le cursus belge). Du chagrin d’amour qui rend inconsolable. La caméra ne cesse de suivre Léo, courant, fuyant tel le vif argent, enfant soudain grandi et qui tarde à mettre des mots sur la culpabilité qui le tourmente. C’est beau, c’est déchirant.