Cannes 2019 : #3 - Pluie et larmes

La chronique de Cannes au jour le jour

Après des films éminemment politiques, la sélection s’éclate en polars venus de Chine et de Roumanie, en films de science-fiction et son feu d’artifice s’appelle Portrait de la jeune fille en feu

Les météorologies rageuses de la Croisette semblent faire souffler le vent et la pluie jusque dans les films. Mélange des genres oblige, on applaudit Elton John venu en personne défendre Rocketman de Dexter Fletcher, biopic classique mais efficace présenté hors compétition et qui bénéficie d’un acteur prêt à toutes les excentricités, Taron Edgerton… On pleure à Douleur et Gloire de Pedro Almodovar, qui a mis « beaucoup d’art dans sa vie et beaucoup de vie dans son art » pour paraphraser (en le trahissant) le dialogue de Jeanson dit par Louis Jouvet dans Entrée des artistes. Au passage, Antonio Banderas, tragique et drôle, effacé et flamboyant, mériterait un prix d’interprétation, n’en déplaise à son metteur en scène, qui lui, rêve de la Palme (et normalement les ex aequo ne sont plus admis au Palmarès…). On rit (jaune parfois) aux Siffleurs de Corneliu Porumboiu, polar ultra-référencé, mais si original, qui parle de communication, d’inaccessibles rêves, et surtout de ce qui, au fond de nous, reste profondément humain malgré tout…

Et puis, Céline Sciamma a présenté dimanche son quatrième long- métrage et le premier en costumes, Portrait de la jeune fille en feu.

En 1770, une jeune femme peintre arrive sur une île pour faire le portrait d’Héloïse, fille d’une veuve italienne désargentée. Le tableau est destiné à l’homme qui l’épousera. On pense à La Leçon de piano de Jane Campion, avec cette arrivée sur le rivage, ce passage sous une voûte de pierre. Mais peu à peu, le film devient lui-même, s’affranchit de tout modèle et rejoint les précédents de Céline Sciamma. Par la présence incandescente d’Adèle Haenel, la sirène de Naissance des pieuvres ; par l’obstination de ces femmes à être elles-mêmes comme dans Tomboy et Bande de filles. Et puis, c’est un film d’amour au féminin, un film sur le regard, sur la façon dont on se dévoile soi-même en observant l’autre… Et donc un film de cinéma sur le cinéma.

Alors que les marches du Palais sont le théâtre de tous les excès, de toutes les improbables parades, dimanche soir un jeune homme inconnu s’est agenouillé sur le tapis rouge devant sa compagne en longue robe jaune pour demander sa main. Moment suspendu, qui ralentissait un peu la course folle des autres anonymes et le passage, à pas mesurés, sous l’objectif des photographes, des stars adulées. Instant fugace et très joli…