Théâtre - Infidèles

Ingmar Bergman sur scène

Il y a d’abord un scénario. Infidèles, signé Ingmar Bergman, dans lequel l’auteur de Scènes de la vie conjugale explore une tragédie du quotidien, l’explosion d’une famille qui se sépare. Il y a ensuite un film, signé de la collaboratrice et ex-compagne du maître norvégien, Liv Ullman. Il y a enfin un spectacle bouleversant créé par les Néerlandais de TG Stan et de Roovers, à voir en ce moment au Théâtre de la Bastille.

Tout commence comme une comédie – pas une farce ou un boulevard, mais une histoire de mœurs assez légère. Marianne, la quarantaine, actrice de théâtre, est mariée depuis dix ans déjà à Markus, chef d’orchestre. Ils sont talentueux, reconnus, complices. Ils ont une fille, Isabelle. Et un ami commun, David, metteur en scène. David est un vieil ami de Markus, devenu ami de la famille. Il est timide, mais sympathique. Il mange souvent à la maison. Quand Markus est en déplacement à l’étranger, il dîne en tête à tête avec Marianne, après avoir couché Isabelle.

Rapidement, l’amitié accueille d’autres sentiments. L’amour, peut être bientôt, le désir, d’abord, vaguement. Ce n’est pas une infidélité violente, fruit d’un désir fougueux, mais une tromperie légère, presque sans s’en rendre compte, presque accidentelle. On pourrait la croire sans conséquence. Mais Marianne revoit David, de plus en plus régulièrement. Parce que ça tombait bien, parce qu’ils étaient tous les deux disponibles, parce qu’Isabelle serait loin, et Markus, absent, ils finissent par passer quelques semaines ensemble à Paris.

Infidèles. Crédit photo : Théâtre de la Bastille.

Dès lors, la tragédie devient inéluctable. Oh, pas de grands drames, pas de meurtre, aucun fait divers capable d’intéresser le moindre journal. Mais c’est une catastrophe intime dont tout le monde est victime et personne vraiment coupable. Les choses finiront par se savoir, on demandera le divorce, il sera question de la garde d’Isabelle. Des choses terriblement quotidiennes et banales. Mais dans cette adaptation de Bergman, les TG Stan et de Roovers livrent un spectacle incroyablement juste sur la nature humaine, essayant toujours de comprendre et d’aimer leurs personnages, tous formidablement humains.

Comme à leur habitude, les comédiens flamands jouent de la distanciation, ne se prennent pas trop au sérieux, se moquent d’eux-mêmes et du théâtre, rappellent que tout cela n’est qu’une représentation, qu’ils ne font que raconter une histoire. La scénographie n’évoque aucun lieu en particulier. Mais malgré tout, ou grâce à cela peut être, ils sont plus forts que tous les drames réalistes. Et en sortant du théâtre, on a l’impression d’avoir connu Markus, David, Isabelle, Marianne, mais aussi d’avoir passé un bon moment (car si on est en larmes par moments, on rit aussi beaucoup) avec les comédiens de TG Stan et de Roovers. Et surtout, on a le sentiment de découvrir un chef-d’œuvre presque inconnu d’Ingmar Bergman, comme la première fois qu’on a vu Scènes de la vie conjugale. Un film dont l’adaptation de TG sera également présentée au Théâtre de la Bastille, rendant ainsi un grand hommage à l’occasion du centenaire du réalisateur, complété par la diffusion, samedi 22 au soir, en avant-première de la version restaurée de Persona, chef-d’œuvre de Bergman sorti en 1966, en présence notamment de Liv Ullmann, réalisatrice du film Infidèles.