Rafiki

Si vous ne m’aimez pas, moi non plus

L’amour entre deux filles pour un film kenyan, doux et amer, interdit de salle dans son pays : il y a autant d’aspects inédits que de joies à découvrir Rafiki de Wanuri Kahiu.

Au Kenya, en swahili, le mot « rafiki », titre du film de Wanuri Kahiu, signifie « mon amoureux (se) », « mon ami (e) », sans précision de genre, laissant libre d’interpréter le profil du partenaire. Cette condition étymologique est l’antithèse de la réalité kenyane, où l’amour entre deux filles (ou garçons) est totalement proscrit, le poids de l’Église contribuant largement à son interdiction. Avant même de vivre une ovation au dernier festival de Cannes (section Un Certain Regard), Rafiki avait été interdit au Kenya pour « son traitement de l’homosexualité et de son but évident, promouvoir le lesbianisme »(…),«  ce qui est illégal et heurte la culture et les valeurs morales du peuple kenyan ». Voilà qu’aujourd’hui Oncle Sam prend le relais, barrant les chances du film au titre de « Meilleur film étranger » dans la course aux Oscars, tant une candidature est conditionnée à l’obligation d’être distribué et diffusé dans son pays d’origine… Pas simple.

Mais Wanuri Kahiu n’abandonne pas le combat : elle lutte actuellement pour sa liberté d’expression et a décidé de porter plainte contre les autorités de son pays. En parallèle, les spectateurs français découvriront tranquillement cette histoire pudique de deux lycéennes attirées l’une par l’autre : Kena (Samantha Mugatsia) et Ziki (Sheila Munnyva), émerveillées de vivre en silence un amour hors la loi, sont entourées des bruits d’un monde catastrophé. Miroir, miroir…

Rafiki de Wanuri Kahiu. Copyright Météore Films.

La réalisatrice a passé sept ans à réunir des fonds et cinq ans à développer son projet adapté d’une nouvelle, Jambula tree de Monica Arac de Nyeko, dont l’action se situait originellement en Ouganda. Elle a atteint son but, produire un véritable feel good movie  africain, doux et moderne, en réhabilitant la réalité et l’essor artistique de son territoire : les musiques de Muthoni Drummer Queen et Jebet Nava enveloppent les corps avec énergie, les couleurs sont vives, inspirées de Mickalene Thomas ou de Zanele Muholi. Les jeunes Africains font enfin la fête comme ceux du monde entier ; la pauvreté se détecte avec parcimonie au profit d’un sens aigu de la représentation des femmes. Et rien ne résonne de manière manichéenne dans cette exploration : ces dernières sont aussi bien la source des commérages et de méchancetés ordinaires que des emblèmes de volonté, de dignité et de courage.

Plus globalement, Rafiki est un film touchant par son questionnement incessant et légitime sur l’état des droits en Afrique de l’Est. Chaque scène est mue par une croyance naïve et indéfectible que le cinéma est capable de transformer la vie et les gens, à l’image de l’amour incomparable qu’il décrit. Wanuri Kahiu va plus loin : « Je pense que la douceur est le seul outil à même de vaincre la haine, la myopie ou le conservatisme qui oppresse. La seule manière de changer les choses, c’est de le faire à travers la joie, l’espoir et le fun. ». Un message ultra-positif qui, malgré les coups, ne baisse pas la garde et poursuit son bras de fer.