Festival Premiers Plans 2016

Les belles promesses d'Angers

Petit diaporama subjectif des films immanquables de la 28e édition du festival Premiers Plans à Angers (22-31 janvier 2016).


Premiers Plans a annoncé fièrement 76000 entrées à l’issue de sa dernière et 28ème édition, un beau succès pour la cité angevine, soit près de la moitié du score annuel de l’incontournable festival de Clermont-Ferrand. En parallèle de rétrospectives du patrimoine – entre autres Miloš Forman, Alain Cavalier et Michael Lonsdale – le festival fut, comme chaque année, concentré sur les premières œuvres cinématographiques européennes pour des compétitions de films d’écoles, de courts et longs-métrages. Dans un climat effervescent, le public composé en majorité de jeunes votait pour remettre différents prix aux côtés de deux jurys professionnels, celui du long-métrage, présidé cette année par Arnaud Desplechin et Laetitia Casta, celui des courts, par Dyana Gaye et Paul Driessen.

La cuvée 2016, avec pour la plupart des films réalisés et produits en 2015, nous aura donné une idée assez vaste du talent et des préoccupations (pré-attentats) des nouveaux créateurs français et européens, grâce à un panel de 70 films retenus sur plus de 2600 titres qui furent visionnés en amont par les sélectionneurs.


 

Córka de Tomasz Wolski

Ayant le don de mettre tout le monde d’accord, auréolé du Grand prix du Jury et du Prix du Public pour un court-métrage européen, Córka de Tomasz Wolski (Pologne) est certainement l’une des plus belles révélations de cette édition. La trame est ténue, mais terriblement efficace : inquiète de la disparition de sa fille, une mère cherche du secours auprès de sa propre mère, avec laquelle elle est brouillée depuis de nombreuses années. Tomasz Wolski dirige deux comédiennes au jeu très intense, Katarzyna Krzanowska, touchante en mère éperdue, et surtout Teresa Budzisz-Krzyżanowska, dont la moindre attitude raconte à elle seule un monde, une grande actrice qui est par ailleurs à la tête d’une filmographie impressionnante en Pologne. Grâce à ses muses, le réalisateur compose Córka sous la forme d’un suspense double, tendu par la recherche d’une étrange fugueuse (fille et petite-fille), mais aussi par l’enjeu des liens troubles qui unissent les deux enquêteuses, dans une économie de mots qui privilégie la finesse d’observations psychologiques, et l’ensemble dans une ambiance esthétique nocturne proprement suffocante.

L’Île jaune de Léa Mysius et Paul Guilhaume

Grand Prix du Jury pour un court-métrage français, L’Île jaune de Léa Mysius et Paul Guilhaume, (tous deux issus de la FEMIS) suit Ena, onze ans, qui cherche à tout prix à rejoindre l’autre côté de l’étang pour un premier rendez-vous galant. Diego, un adolescent défiguré et ténébreux, lui sert d’embarcation et lui fait visiter « son île ». Avec de belles intentions narratives, le duo se risque à de savants mélanges, évoque le mythe de pirates et du Masque de fer en région PACA, fait jeu de comédie et d’hallucinations au gré d’une petite héroïne surexcitée (à la manière de Catherine Deneuve dans Le Sauvage), en proie à de dangereuses mouettes hitchockiennes et à un drame funèbre qui la dépasse. Un conte noir et délicat, où Alice évolue au pays des cauchemars.

Les Amours vertes de Marine Atlan

Camille, qui a à peu près le même âge, héroïne du film de Marine Atlan, Les Amours vertes (mention spéciale dans la catégorie film d’école européen) vit ses premiers émois amoureux dans un autre registre. Campée dans un univers provincial ultraréaliste (avec notamment de longues répétitions de majorettes), l’esthétique de la réalisatrice évoque un peu l’ambiance de Mes petites amoureuses de Jean Eustache : le mode documentaire, 4/3 inclus, enracine l’action dans un carcan d’authenticité infaillible, tandis que la fiction est l’apanage des élans du cœur. Si Camille ne s’exprime pas au travers d’une voix off comme chez Eustache, c’est son regard via la caméra objective de Marine Atlan qui fait office de langage. Qu’elle soit à vélo pour suivre secrètement son amoureux en contre-plongée ou qu’elle découvre ce dernier par-dessus un mur dans une plongée miraculeuse, Camille nous confie son regard et ses sentiments, le temps d’un beau petit film hypersensible.

Jeunesse des loups-garous de Yann Delattre

Prix du Public, des Bibliothécaires et double Prix d’interprétation, Jeunesse des loups-garous de Yann Delattre surfe quant à lui sur un humour frondeur, celui d’une jeunesse anxieuse de son avenir. Julie, qui distribue des cannettes de boisson énergisante dans un costume d’ours, ne remarque pas combien son collègue Sébastien est épris d’elle. À l’inverse, la jeune fille se laisse aller à la dérive d’un quotidien déprimant et sans amour. Le film réussit à capter ce détachement typique de jeunes contemporains, speed et pourtant nonchalants, dont les airs dégingandés sont néanmoins stylisés. Delattre s’amourache principalement de ses deux interprètes : une fille planante et gouailleuse (Nina Meurisse, hilarante), un mec lucide et recroquevillé (Benoît Hamon, charmant), les archétypes d’une génération désenchantée et quasi endormie face au néant de leur condition, qui aura bien fait rire le public, mais qui aura aussi pu le catastropher.

Keeper de Guillaume Senez

Dans la section des longs-métrages européens, Keeper fut le véritable coup de poing de cette édition, Grand Prix du Jury pour ce premier film de Guillaume Senez qui, par ailleurs, fut résident aux Ateliers d’Angers, afin d’y construire le projet. L’histoire de Maxime et Mélanie, 15 ans tous les deux, qui décident envers et contre tout de garder le bébé qu’ils ont conçu ensemble, restera longtemps gravée dans les mémoires. Si les adolescents (interprétés par Kacey Mottet Klein et Galatea Bellugi) sont admirables, il est à noter que l’ensemble des rôles secondaires sont de la même veine, particulièrement les mères des protagonistes (interprétées par Laetitia Dosch et Catherine Salee), qui font de Keeper un beau film sur la maternité. Le réalisateur indique qu’il ne recherche pas l’originalité mais la justesse, notamment celle du jeu dans une forme cinématographique réaliste, expliquant ne pas donner le scénario aux comédiens pour une plus grande exactitude émotionnelle. Un tel discours et une telle réussite probante à l’écran n’avait pas eu de meilleur représentant que l’art d’Abdellatif Kechiche, adepte d’une « vérité » proche de cette « note bleue » tant chérie par les musiciens de jazz. Admettons aujourd’hui qu’il a trouvé un digne successeur en Guillaume Senez, réalisateur franco-belge, dont le film, unanimement salué, aura laissé les spectateurs hagards et bouche bée.