Géraldine Pailhas, passionnante pasionaria (#2/2)

Actrice dans Mobile Etoile de Raphaël Nadjari

Comment avez-vous envisagé la passation de pouvoir avec AbigaiI, la jeune chanteuse interprétée par Éléonore Lagacé, qui est un peu votre miroir dans Mobile Étoile ?

J’avais affaire à du vif argent, Éléonore Lagacé est une jeune fille brillante, intelligente, elle chante divinement bien. La chance, c’est qu’elle m’a plu. Comme dans Jeune et Jolie de François Ozon, Marine Vacth m’a plu dès le premier rendez-vous, et j’ai aimé l’aimer… J’ai eu quelque chose de cet ordre-là avec Éléonore ; de plus, nous avons travaillé une dizaine de jours avant, surtout pour la musique. Parce que tous les enregistrements avaient été faits avec le groupe sans moi, et j’ai donc pris le train en marche. Éléonore et Nathalie Choquette (qui joue sa mère et qui est vraiment sa mère en réalité, et qui est aussi la personne qui double ma voix chantée dans le film), et tous les autres, sont vraiment absolument délicieux, généreux. Ces qualités qui sont tombées en désuétude aujourd’hui et que l’on trouve fréquemment chez la population montréalaise. Pour ce qui est du rapport de « miroir » avec le personnage d’Abigail, j’ai dû lutter contre mon sentiment d’usurpatrice : car j’étais censée lui transmettre quelque chose de la musique, alors que c’était elle qui m’apprenait énormément. Raphaël Nadjari avait très envie qu’on voie à travers mon personnage la créature du pygmalion, la Pandore, qui elle-même crée une Pandore, sans l’intervention d’un homme. Ça m’a touchée que cet homme de 45 ans ait envie de faire le portrait d’une femme qu’on ne croise pas forcément partout, qui n’est mise en lumière ni par le cinéma ni par les médias et qui ne revendique rien d’autre que de continuer à faire la musique qu’elle aime. Une femme qui a sa place dans l’histoire de la musique, dans l’histoire du judaïsme, et dans l’Histoire tout court…

L’énergie, c’est ce qui caractérise la plupart des personnages que vous avez interprétés à l’écran…

Ah merci ! Mais au début, j’ai souvent été la femme douce… Je ne peux en vouloir à personne, parce que je n’ai pas forcément dit le contraire, je ne me suis pas battue contre cette idée reçue qu’on avait de ma volonté de discrétion. Pendant les premières années de ma vie d’actrice, j’ai partagé l’affiche avec des acteurs aussi écrasants que Montand (IP5), Depardieu (Le Garçu), Auteuil (L’Adversaire) ou Luchini (Le Coût de la vie), comme si j’avais incarné pour un certain nombre de metteurs en scène une sorte d’idéal féminin assez lisse, qui ne dérangeait pas l’homme viril sommeillant dans chacun d’eux ! J’ai souvent été victime et ces victimes-là n’ont pas manqué de se rebeller si elles avaient l’occasion de le faire, sauf quand elles étaient assassinées, comme dans L’Adversaire. Personnellement dans ce film, je pense avoir joué quelqu’un de guerrier, avoir trouvé l’espace d’accueillir le doute que j’avais de regarder cet homme autrement que comme j’avais voulu qu’il soit pendant toutes ces années. De mon point de vue, j’ai toujours essayé de mettre des nuances dans mes personnages, mais elles étaient parfois ténues… En tout cas, à partir du deuxième film que j’ai tourné avec Thierry Klifa, Le Héros de la famille, j’ai commencé à accéder à des personnages plus acides. Et puis il y a eu Didine de Vincent Dietschy, mon premier personnage principal depuis longtemps. Je n’étais ni l’infante, ni la femme de, ni la dure, ni la bourgeoise. J’étais enfin une « fille », à 35 ans, alors que j’ai été une femme très tôt au cinéma, une mère, une épouse. Didine a été une renaissance.

Image du film Mobile Étoile de Raphaël Nadjari.
Quel est votre rapport à votre image : vous n’aimez pas beaucoup les photos ?

Dans la vie, je m’en fiche complètement : je ne me maquille pas, je m’habille en noir des pieds à la tête, simplement je n’aime pas poser, même mon amoureux a renoncé à me photographier. Je peux être chiante au moment de la promotion et du travail sur l’image, car tout à coup les interlocuteurs sont nombreux, ces photographies restent pour toujours. Vous direz du film et de moi absolument ce que vous voudrez, ça fait partie des choses auxquelles je ne prétends pas toucher ; mais l’image photo est l’une des dernières choses sur lesquelles j’ai envie d’avoir un petit contrôle… En revanche, quand je suis filmée, évidemment il y a des plans où je ne me trouve pas à mon avantage et si je m’en aperçois, il m’arrive d’aller demander au chef-opérateur de faire attention à moi, mais je renonce facilement, ça ne me préoccupe pas beaucoup. Peut-être que ça viendra, le temps passant. J’ai décidé, il y a fort longtemps, et jusqu’à présent je m’y tiens, que ça faisait partie des choses dont j’aimais être le témoin. Mes films mis bout à bout constituent une sorte de portrait de moi assez juste et que j’aime bien. Il y a un ou deux films que j’aime un peu moins par goût, mais je suis très contente qu’ils fassent partie du portrait, car quand je les ai choisis, c’était en pleine conscience. Je suis quand même très gâtée. Et puis j’ai beaucoup d’appétit pour des projets toujours différents, et quand je m’aventure dans des terrains nouveaux, comme avec Lodge Kerrigan ou Raphaël Nadjari, je suis hyper motivée, j’ai envie d’essayer, de me planter même. J’ai moins peur du regard des autres, et c’est une forme de libération.

Vous avez eu peur du regard des autres à vingt ans ?

J’ai eu peur de ne pas réussir à tracer mon sillon. J’ai eu peur qu’après m’avoir dit : « Bienvenue », on me dise : « Oh ben non, on a vu que ça ne tenait pas la route, cocotte, va vaquer à tes occupations et n’en parlons plus ! ». J’ai eu vraiment à cœur d’être une bonne actrice, presque d’une façon scolaire…

Est-ce que la danse, que vous avez pratiquée intensément jusqu’à vos dix-huit ans, vous a donné une base pour être actrice ? Est-ce que l’actrice fait l’équivalent de ce qu’est la barre quotidienne pour une danseuse, des exercices, une discipline ?

Autant j’ai développé des techniques de danseuse, autant l’actrice que je suis s’est construite sur la succession de projets, de rôles et de rencontres, qui ont fini par dessiner les choses qui me meuvent et me passionnent… Quand je dis « scolaire », c’est juste par rapport à l’application que j’y ai mise, parce que je n’ai pas du tout envie d’être une actrice scolaire ! Il y avait quelque chose de l’envie de bien faire, de l’excellence, qui rejoint l’esprit de la danse effectivement. Je ne veux pas faire défaut ; quand je suis face à un metteur en scène, je veux qu’il puisse se dire, à la fin du projet, qu’il a obtenu le meilleur de moi, et éventuellement, si possible, qu’il a été comblé au-delà de ses espérances. Parce que, au fond, je ne fais pas ça pour moi : dès le départ – et c’est peut-être la seule chose qui reste, intacte –, je voulais travailler avec les metteurs en scène. Le but n’était ni de recevoir des lauriers, ni de briller, ni de combler quelque chose d’un regard mal posé sur moi. Je voulais être la bonne personne et servir le film.

Image du film Mobile Étoile de Raphaël Nadjari.
Vous vous êtes rêvée danseuse enfant et vous avez arrêté la danse, suite à une blessure, mais aussi parce que vous avez senti que vous ne seriez jamais danseuse étoile. Dans votre parcours, il y a eu cette proposition qui vous a été donnée de devenir comédienne « à la place ». Avez-vous placé l’enjeu différemment, parce que vous veniez d’ailleurs ?

Absolument. En fait, je suis une spectatrice de cinéma qui est passée de l’autre côté du miroir. On m’a proposé d’être actrice sans que j’aie le temps d’en avoir le désir. Quoique… En rangeant chez moi, j’ai retrouvé un petit papier écrit en rouge de ma main : « Erato Films recherche jeune fille 15-16 ans pour le film de Maurice Pialat, Sous le soleil de Satan ». Je l’avais complètement oublié, mais puisque Sous le soleil de Satan a eu la palme d’or en 1987, j’ai donc dû trouver cette annonce en 85 ou 86, j’avais 14 ou 15 ans, j’étais loin d’être actrice ! Je pense que j’avais recopié ces mots parce qu’il s’agissait de Maurice Pialat, le réalisateur d’À nos amours, que j’aimais tant. Cette envie de cinéma avait dû me traverser, mais je ne savais pas comment procéder : je vivais à Marseille, qui m’attendait à Paris ? Et puis, mon avenir, c’était la danse ! Mais j’aimais beaucoup le cinéma, je rêvais d’actrices, d’acteurs, de metteurs en scène. J’enregistrais des films en VO, j’avais cette coquetterie qui faisait de moi ce que je m’imaginais être une « cinéphile ». Et puis, tout à coup, la chance qui m’a été donnée de jouer un rôle au cinéma s’est très vite transformée en proposition avec des choix à la clé, nombreux. Le 11 décembre 1991 est le jour où mon premier film est sorti, en même temps que le deuxième : La Neige et le Feu de Claude Pinoteau, le découvreur d’Isabelle Adjani et Sophie Marceau, et Les Arcandiers, de Manuel Sanchez, produit par Lazennec. J’étais la nouvelle Adjani-Marceau, même si mon parcours a été un peu plus compliqué que ça, mais je l’ai été pendant quelques mois. Et j’ai reçu le César du meilleur espoir féminin. Du coup, j’ai pu choisir, faire mon « casting de spectatrice » : j’aimerais bien tourner avec Doillon, j’aimerais bien tourner avec Pialat ! Et ça s’est fait. Vous avez raison : ma condition d’actrice, je l’ai dessinée en fonction de la façon dont je suis arrivée dans ce métier.