Tel père, tel fils

Tu seras un père, mon fils

Quels sont les liens d’un père et d’un fils ?  Des liens de sang ? Des liens d’amour ? Comment y répondre, sinon en les dénouant, comme le fait Hirokazu Kore-Eda ? Le cinéaste japonais les tend et les rompt et en fait le cœur de Tel père, tel fils, Prix du Jury au dernier Festival de Cannes.

Kore-Eda pousse la porte de deux familles à la situation sociale aux antipodes, et y fait entrer le dérèglement de la filiation et des sentiments : l’enfant aimé que chacun croyait le sien est celui de l’autre. Les deux garçons ont été échangés à la naissance, suite à une erreur de manipulation de la maternité qui découvre, longtemps après, la confusion, et en prévient les deux familles. Le film tourne autour de cette rupture et de ses grands effets délétères : une sorte d’entropie fait exploser la famille et son cadre stable. Cinéaste de l’enfance dont il assemble avec ses films les pièces d’un puzzle complexe, composant comme un saisissant portrait tout en nuances généreuses, Hirokazu Kore-Eda pose une fois encore une réflexion existentielle, doublée d’une autre, sur ce qui se transmet, de l’adulte à l’enfant.

Comme dans Nobody Knows, film de solitude d’une fratrie en huis clos abandonnée à elle-même, il se fait ici le cinéaste de l’enfance heureuse brisée. Ce pourrait être la matière d’un mélo poignant, il en fait le sujet d’un film pudique, à la fois sombre et lumineux. Tout se met en scène avec une rigueur sèche qui étouffe les démonstrations douloureuses pour toucher à l’os, impeccablement et implacablement. Kore-Eda a quitté le territoire de l’innocence qu’il avait arpenté avec I Wish, joli road-movie fraternel, qui semblait avancer avec une allégresse facétieuse et légère. Tel père, tel fils joue avec infiniment moins d’insouciance : il distille une cruauté douce, qui n’épargne personne. Les liens défaits n’affectent pas seulement les grandes personnes, mais aussi les enfants, arrachés à leur famille pour reprendre leur place dans l’autre, biologique, qu’ils ne connaissent pas. Le cœur de tous est brisé, des enfants, des pères, des mères. Avec Hirokazu Kore-Eda, la question n’est plus : avez-vous des enfants ? Elle devient : êtes-vous père ? Entre avoir et être, l’écart est immense : Tel père, tel fils donne la mesure de son abîme.