La Mule

L’âge de l’emploi

Clint Eastwood devant et derrière la caméra : un plaisir vintage qui ne se refuse pas.

Il l’avait promis. Après son très beau, très fort Gran Torino en 2008, il continuerait à diriger, mais cesserait de jouer, trop vieux pour montrer sa vieille tête à l’écran. Dix ans plus tard, à 88 ans, pour sa trente-huitième réalisation, Clint Eastwood revient des deux côtés de la caméra. Se saisissant avec une mélancolique énergie et un humour feutré d’une histoire on ne peut plus vraie relatée dans un magazine à la page des faits divers. Se vieillissant encore avec une coquetterie charmeuse, se disant nonagénaire, il incarne Earl Stone, horticulteur vedette, spécialisé dans la culture d’une fleur éphémère qui ne vit qu’un seul jour… Mais les affaires vont mal, le voilà ruiné, contraint de vendre sa maison, le seul bien qui lui reste, une antique camionnette cabossée. Dernier désastre et pas des moindres, Earl est fâché avec toute sa famille, qu’il a trop longtemps négligée… Plus personne ne veut lui parler, ni sa femme (Dianne Wiest) ni sa fille. Rôle distribué par Eastwood à sa propre fille, Alison Eastwood, et c’est touchant…

C’est alors, que Earl se voit proposer un job, très lucratif. Qu’il accepte avec une docilité résignée, une bonne volonté sans état d’âme, et dans ce découragement en mouvement, Eastwood est impérial. Un cartel de trafiquants mexicains – un peu conventionnels -, dirigé par Andy Garcia, voit en ce vieillard désemparé un complice idéal. On va lui demander de convoyer dans son tacot, du Texas à Chicago – une trotte -, de grosses cargaisons de drogue. L’attelage, en effet, va se révéler pour un temps, un temps important, insoupçonnable. S’arrête-t-il sur l’autoroute pour vérifier son illicite cargaison ? Un policier affable s’empresse : « Je peux vous aider, monsieur ? ». Et l’on suit avec une étrange sympathie grandissante cette mule d’occasion, lors de ses courses nombreuses. Il charge dans un garage, il livre dans un motel, encore, et encore, et l’argent qui lui manquait tellement ruisselle dans sa boîte à gants… Cela pourrait être glauque, devrait sombrer dans la violence, mais avec une vraie tendresse pour son personnage, Clint Eastwood lui réserve une spectaculaire réconciliation familiale, et ne peut empêcher le flic qui le poursuit (Bradley Cooper), d’éprouver, lui aussi, pour le papy dealer, une réelle sympathie. La dernière scène que nous ne dévoilerons pas, est un modèle d’autodérision poétique, une jolie fleur dans le jardin de Clint Eastwood, qui, tout au long de sa longue, longue carrière, aura si bien su faire des héros de ses antihéros.