Cannes 2019 : J’ai perdu mon corps

Splendeur sur la ville

Surprenant, ce premier long-métrage. Un film d’animation, oui, mais dont on oublie la création de toutes pièces, tant il saisit par sa force d’identification. L’histoire d’une quête, d’une nécessité, et le croisement galvanisant des genres. Un flirt avec les précipices. Une ode au lien.

Un gros plan. Une mouche. Une vis. Des gouttes rouge sang. Une flaque vermillon qui se répand. Telle est l’image inaugurale de cette découverte. Mystère. Le suspense peut commencer. Que s’est-il passé ? Que va-t-il se passer ? Où va-t-on aller ? Jérémy Clapin distille les réponses, en subtil maître-conteur de son puzzle narratif. Dans ses films courts, il travaillait déjà la rencontre détonante entre des êtres, matières, humains, animaux ou extra-terrestres, sur le terreau d’une profonde solitude. Une histoire vertébrale, Skhizein, Palmipédarium, et le clip vidéo Innocent pour le groupe américain Hundred Waters forment une galaxie d’œuvres à la durée réduite, où l’animation transcende l’impossible. Le noir et blanc y est émouvant, profond, tout comme les tons sépia et bruns de Palmipedarium.

Aujourd’hui, le temps du long-métrage est venu, salué par une sélection à la Semaine de la Critique. En passant à quatre-vingts minutes, le réalisateur ne perd pas de sa force. Judicieuse idée de raconter le parcours d’une main bien décidée à retrouver le corps dont elle est séparée. Le scénario est tiré du roman Happy Hand de Guillaume Laurant, que l’auteur a librement adapté avec Clapin. Un tandem d’écriture fructueux, tant l’imaginaire et la forme s’imbriquent harmonieusement. Très vite, les plans sur les toits parisiens, la nuit, ouvrent les péripéties de cette main orpheline à la magie du cinéma, en format scope. Le mélange des genres est d’une immense subtilité, et transcende en images animées ce que les prises de vues réelles auraient peiné à saisir. L’œuvre débute comme un film noir, puis vire au fantastique, au récit d’aventures, à la chronique sociale, au mélodrame et à la romance.

Le lien aux origines est savamment tissé dans les allers-retours incessants entre les différents niveaux temporels, parsemés d’ellipses pudiques. Fils d’une violoncelliste et d’un guitariste amateur, le jeune héros, Naoufel, se rêvait pianiste et astronaute. Pas l’un sans l’autre. Terrien et aérien à la fois. Sa collection de cassettes audio, consignes sonores de sa jeunesse, bouleverse. En ressuscitant, grâce au son, les images de ce qui a disparu, ce récit de séparation réussit l’impensable : redonner corps à ce qui est disloqué. Aidé des accords musicaux de Dan Levy, et des titres de rap, de Brassens ou de Laura Cahen, le ressenti est fort lorsque la dernière image s’évapore. Celui d’avoir assisté, sans cesse au bord du vide, à une épopée humaine, une tentative de réconciliation.