Bacurau

En mode guérilla

Le réalisateur des Bruits de Recife et Aquarius nous revient, accompagné d’un acolyte et coréalisateur, pour un film collectif, un western fantastique, une fable insurrectionnelle.

Après Les Bruits de Recife et Aquarius, Kleber Mendonça Filho nous revient en duo avec, comme coscénariste et coréalisateur, le décorateur de ses films précédents, Juliano Dornelles. Ça donne un film ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Écrit au long cours, après le court-métrage Recife frio (2009) et au fil de leur collaboration sur les longs-métrages, avec des éclipses parfois, le scénario se balade ainsi entre plusieurs genres. C’est un constat implacable et revendicatif de l’état du monde, comme toujours, mais cette fois, en mode guérilla (il y a des armes et du sang), entre fable et western.

L’histoire se passe « dans quelques années » et dans le Sertão, Nordeste du Brésil, où un tout petit village pleure sa doyenne, Carmelita, 94 ans, qui vient de s’éteindre. Isolé du reste du monde, privé d’eau à cause d’un barrage mis en place par le préfet véreux de la région, Bacurau est ravitaillé par un camion-citerne tandis qu’une jeune infirmière vient apporter des médicaments de première nécessité. Celle-ci est la visiteuse (et petite-fille) de la défunte, nous entraînant à sa suite dans la découverte de ce monde à part, avec ses grandes gueules, hommes et femmes ordinaires à la force de vie extraordinaire, si habitués à lutter que c’est devenu, chez eux, une seconde nature. Même si tout est sec, leurs cœurs sont gorgés de sève, de colère, de désir. On voit beaucoup de couples dans ce film, incidemment, sur le pas de leur porte, ou émergeant du lit et se penchant à la fenêtre, lorsqu’une horde de chevaux traverse la ville au galop au milieu de la nuit. La vie est là, mais la mort rôde, les cercueils semblent pousser le long des routes de bitume comme de la mauvaise herbe… Et puis il y a l’amitié, la solidarité, ce qu’en d’autres lieux plus urbains on appellerait le lien social, cette chose tombée en désuétude et qu’il fait si bon voir ici se déployer sans ambages.

Alors, assiégés, comme dans un western américain, mais par de riches touristes (en réalité commandités, sans le savoir, pour la plupart d’entre eux) venus jouer de la gâchette comme dans un safari, ils seront unis et debout. Ils feront aussi appel à un bandit recherché, Lunga, « cangaceiro » dans la pure tradition du film populaire brésilien, pour venir leur prêter main forte et leur montrer où sont enterrées les armes de la dernière insurrection. Et là, le film vire au massacre gore, sous emprise psychotrope (une mystérieuse petite graine posée sur la langue des protagonistes) à la révolte. À la révolution. Et d’ailleurs, des têtes tombent… Toutes ces bifurcations du style font chaque fois référence au cinéma dans son entier (au son, on reconnaît même la musique de John Carpenter, qui s’y connaît en assauts), et Bacarau, remarquablement photographié, est un étonnant voyage dans un futur imprégné du passé et qui est déjà de l’ordre du présent. Au Brésil, où Jair Bolsonaro, président d’extrême droite, vient d’être élu. Mais partout ailleurs.