Fais de beaux rêves

La tragédie invisible

Adapté du roman autobiographique de Massimo Gramellini, best-seller en Italie, Fais de beaux rêves est le vingt-cinquième film de Marco Bellocchio. Cinquante-et-un ans après Les Poings dans les poches et sept ans après Vincere, le cinéaste italien retrouve son thème favori : la tragédie familiale.

C’est l’histoire d’un petit journaliste sportif devenu grand reporter un peu par hasard. C’est l’histoire d’une jeune mère un peu trop douée à cache-cache pour son fils de neuf ans qui ne peut pas se passer d’elle. Souffrant d’abord de quelques absences, auxquelles le fils s’est, malgré lui, habitué, elle finira par disparaître vraiment, brutalement, définitivement. Un décès si inattendu et bouleversant pour le jeune Massimo, qu’il refusera d’abord d’y croire, puis de l’accepter.
Jouant habilement avec la chronologie, Mario Bellocchio fait alterner les séquences montrant Massimo enfant à la fin des années 1960, avant et après la mort de sa mère ; et Massimo adulte, la quarantaine, journaliste accompli mais un peu perdu, navigant dans sa vie entre hasards et accidents. Déjà, dans la transition tourmentée qui a suivi le drame, le jeune Massimo passe sans préambule d’une relation absolue et exclusive avec sa mère à une vie avec un père qu’il avait appris à oublier. Ce père, absent du début du film, s’impose soudainement au spectateur comme il s’impose à Massimo. Un père mal à l’aise avec sa nouvelle et nécessaire responsabilité, tentant de faire au mieux sans en être franchement convaincu, et qui empêchera Massimo de faire son deuil, de passer à autre chose.

En creux, se cache aussi – comme souvent – un drame originel. Quelque chose sur sa mère qu’on a préféré cacher à Massimo pour le protéger, et qu’on n’a jamais eu le courage de lui avouer, pensant, pour se rassurer, qu’il avait fini par deviner par lui-même. Car les personnages de Fais de beaux rêves sont pleins de non-dits, de pensées à moitié refoulées. Incapables de prendre une bonne décision de peur d’en prendre une mauvaise. Très humains, trop humains, en fin de compte. Victimes malgré eux de codes sociaux et moraux qui les emprisonnent. Une fragilité touchante, car jamais fatale ou résignée. Parfois, un éclair, une situation à la fois exceptionnellement tragique et profondément dépaysante leur permet de se rendre compte du mal qui les ronge. Il faudra à Massimo quitter ses terrains de football familiers pour l’omniprésente tragédie de la Bosnie en guerre pour accomplir sa catharsis. Ranger l’appartement familial pour recoller les morceaux épars de ses souvenirs d’enfance.

Fais de beaux rêves est une tragédie du quotidien, à la fois banale et complexe. Derrière son histoire classique, Bellocchio vient nous chercher là où on ne l’attend pas, et livre un film profondément émouvant, tout en étant dépourvu d’émotions artificielles ou construites. Au contraire, par la finesse de son montage, il nous rappelle que la vie n’est pas une histoire linéaire ; et que ce n’est pas vraiment une histoire au moment où on la vit. C’est une succession d’événements dont on ne comprendra l’importance que plus tard. Mettant la lumière sur ces épisodes, les assemblant les uns aux autres, dans le désordre, Marco Bellocchio écrit une belle et ordinaire histoire humaine.