The Revenant

L’homme qui a vu l’ours

On a beaucoup évoqué la scène de l’attaque de l’ours. Celle qui laisse Hugh Glass en si piteux état que ses compagnons trappeurs décident de l’abandonner avec l’un d’entre eux jusqu’à son inévitable et prochain trépas. Mais ce serait résumer The Revenant d’Alejandro González Iñárritu à une performance visuelle qui ne fait pas justice au reste du film.

De cette histoire de vengeance (celle de Hugh Glass, miraculeusement sorti du trou dans lequel on l’avait un peu trop vite enterré), Alejandro González Iñárritu crée une fable christique à l’esthétique impeccable, portée par un Leonardo DiCaprio incroyable.

Ça commence par une scène d’attaque de campement à couper le souffle. Les Indiens pillent et massacrent le camp des trappeurs, dont fait partie Glass. Les hommes fuient comme ils le peuvent, les ennemis arrivent de tous les côtés, et la caméra d’Iñárritu virevolte, attrape ici une image, là une autre, dans un mouvement d’une fluidité impeccable, un quasi-plan-séquence qui nous laisse scotché au siège.

Du vrai, du beau cinéma, qui permet en quelques moments de poser à la fois les bases d’une nature souveraine et dure, d’un ennemi impitoyable et de chacun des personnages, face à des décisions urgentes de survie. C’est un choc et on n’aurait pu rêver meilleure entrée en matière.

Le reste du film sera à l’aune de cette première séquence, entre beauté pure et froide d’une nature hostile et humanité de chacun face à la survie. Un vrai, un pur western avec cow-boys et Indiens auxquels on vole les ressources sans vergogne. Un film de genre dans les règles de l’art.

Mais les plans « malickiens » contemplatifs du réalisateur ne sont pas tout. Il s’appuie, comme il sait si bien le faire, sur un acteur qui lui donne tout. Le jeu très intérieur de Leonardo DiCaprio n’a jamais été aussi bon. Ses yeux presque translucides parfois trahissent ses pensées les plus profondes et sa douleur. Impossible de ne pas grimacer à son tour, bien au chaud et confortablement installé dans son fauteuil de cinéma.

Cette fois, on voit mal comment l’Académie pourrait refuser au héros de Titanic sa statuette. Ce rôle-là, c’est un parfait « rôle à Oscar » : une histoire de rédemption, le combat d’un homme envers et contre tous, un rôle qui demande une vraie transformation « physique ». Tout ce que les Américains aiment, tout ce qui garantit normalement la victoire. En tout cas, on l’espère, puisque voilà belle lurette que DiCaprio mérite son Oscar, depuis The Aviator, Shutter Island, Django, enfin, depuis quelques années…

Pourtant, c’est oublier un peu vite le reste du casting, et notamment Tom Hardy, que de lui poser le poids de cette histoire entièrement sur les épaules. Tous sont parfaits, jouent « naturaliste » en évitant l’écueil du déguisement et du « faux accent ».

Un casting trois étoiles au service d’un film et d’une histoire, celle du survivant Hugh Glass, pionnier de la construction américaine d’une nation.

Et c’est peut-être là qu’on posera les limites de notre appréciation de The Revenant. Impeccable, très bien joué… Le film n’en est pas moins loin d’être « le » chef d’œuvre d’Iñárritu. Si le réalisateur coche toutes les cases de la liste « blockbuster d’Hollywood un peu auteur au passage », il nous manque les aspérités d’Amours Chiennes, les sentiments grinçants de Biutiful… Un rien de grains de sable, de grippements des rouages, de sentiments humains qui font l’humanité des grandes œuvres.

Alors, certes, The Revenant est magistral, sublime, d’une beauté féroce et porté par un acteur qui n’a plus grand-chose à prouver. Mais, en bons râleurs français que nous sommes, il nous manque un petit je-ne-sais-quoi pour crier au chef d’œuvre… Juste pour râler.