Leonardo DiCaprio

L’acteur-né

Qu’il obtienne ou non son premier Oscar en 2016 ne changera rien au statut d’acteur de Leonardo DiCaprio. En effet, pour tous ceux qui suivent sa carrière depuis ses débuts, il est depuis longtemps considéré comme le digne héritier des Marlon Brando, Robert De Niro (son acteur fétiche), Al Pacino et autres Daniel Day Lewis. Ses deux premières prestations dans Blessures secrètes (Michael Caton-Jones, 1993) et Gilbert Grape (Lasse Hallström, id.) en avaient déjà apporté la preuve, alors qu’il n’avait que dix-neuf ans.


Un début prometteur

Dans Blessures secrètes, il incarnait un adolescent, brutalisé par un beau-père macho (De Niro). Il étonnait par la justesse de ses regards, méfiants, haineux, soumis, vengeurs. Une gamme d’expressions simplement rendues par sa manière de plisser les yeux, le rendant tantôt voyou, tantôt gamin, toujours félin. Il excellait dans les scènes où il ruminait ses arrière-pensées, prenait des poses annonciatrices d’explosions. Le tout soutenu par un timing très maîtrisé et une diction d’une grande justesse.

Blessures secrètes - 1994
Blessures secrètes / Michael Caton-Jones / 1993

La même année, il prouvait qu’il était aussi capable d’œuvrer dans la composition : dans Gilbert Grape, il incarnait un autre ado, cette fois mentalement déficient. Aux côtés de Johnny Depp, il impressionnait par son choix pertinent de divers tics (doigt frappant le nez, lèvre supérieure retroussée…) pour signifier les dysfonctionnements du personnage. En 1993, l’Amérique avait engendré un acteur surdoué, qui n’avait suivi aucun enseignement en la matière, étant seulement apparu, dès ses quatorze ans, dans des publicités et quelques soap operas à la télévision.


 

Un éclectisme téméraire

Un talent qui le poussa à différencier ses rôles. Parmi ceux-ci, un Arthur Rimbaud très agité dans Rimbaud Verlaine d’Agnieszka Holland (1995), un Roméo tiraillé entre la rage vengeresse et l’amour-passion dans le Roméo+Juliette de Baz Luhrmann (1996) où – tout comme Brando dans Jules César de Mankiewicz – il sut rendre vivants les pentamètres iambiques de Shakespeare. Mais c’est avec son rôle d’un autre grand romantique, qui paralyse la lutte des classes à bord du Titanic de James Cameron (1997), que cet acteur de vingt-trois ans fut starifié à l’échelon mondial.

Roméo+Juliette Léonardo DiCaprio
Roméo+Juliette / Baz Luhrmann / 1996

La qualité réaliste de son jeu et la force émotionnelle de ses réactions firent alors l’unanimité. Un succès qui tenait aussi à une certaine ambiguïté, émanant de la forme de son visage. En effet, on peut aujourd’hui encore remarquer une opposition radicale entre l’arrondi du bas de son visage, qui lui confère une juvénilité permanente, plutôt porteuse de douceur, et la dureté de son regard, souvent tendu, sur la défensive, annonciateur de violence. Une dichotomie dans l’expression faciale qui, une fois l’âge mûr atteint, allait lui permettre d’incarner des personnages de plus en plus complexes. Ainsi, après avoir été L’Homme au masque de fer (Randall Wallace, 1998), il joua un amateur d’aventures, qui, par son égocentrisme, met fin à une communauté hédoniste sur La Plage de Danny Boyle (2000). Sa rencontre avec Martin Scorsese, en 2002, pour Gangs of New York, lui permit d’accéder à un rôle beaucoup plus nuancé, celui d’un être assoiffé de vengeance, qui sait attendre son heure, louvoyant habilement entre les uns et les autres. Une prestation qui lui apporta une grande crédibilité à Hollywood.

Shutter Island Léonardo DiCaprio
Shutter Island / Martin Scorsese / 2010

Suivirent son escroc de charme dans Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg (2002) et surtout ses Howard Hughes (Aviator, 2004), Billy Costigan (Les Infiltrés, 2006) et Teddy Daniels (Shutter Island, 2010), tous trois dirigés par Scorsese, des individus aliénés par la réussite à tout prix et condamnés, pour ce faire, au double jeu, voire au jeu de rôle. DiCaprio y faisait merveille, ponctuant ses interprétations de nombreux petits détails, glissés dans sa manière de scruter ses partenaires, de se mouvoir, de jouer de ses mains. Un art qui le poussa vers des rôles encore plus différenciés : un mégalomane de génie dans Aviator, un esclavagiste sadique dans Django Unchained de Quentin Tarantino (2012), un parvenu mystérieux dans Gatsby le magnifique de Baz Luhmann (2013), sans oublier son odieux et néanmoins galvanisant courtier Jordan Belfort dans Le Loup de Wall Street de Scorsese, en 2013. Parvenu à ce niveau, DiCaprio pouvait-il encore surprendre ?


 

Au-delà du possible

En 2015, Iňárritu lui offrit l’occasion de pallier un manque : un film où il pourrait s’investir physiquement, d’une manière intense, au sein de cette nature sauvage à laquelle l’acteur est tant attaché. The Revenant lui permit donc de se défendre contre la violente attaque d’une mère ourse, d’échapper à la noyade dans des rapides, de lutter contre le très grand froid, des Indiens hostiles, le meurtrier de son fils, de graves blessures. En outre, il alla jusqu’à briser son image de beau gosse en portant, tout au long du film, les cheveux longs et sales, arborant une barbe peu flatteuse et n’étant vêtu que de peaux de bête. Un simple antihéros, certes encore avide de vengeance, mais surtout obsédé par sa survie. À cette nouvelle composition visuelle s’ajoute un travail lui aussi novateur sur la voix, brisée à cause d’une profonde blessure au cou, et sur la langue parlée, puisqu’il s’exprime, à plusieurs reprises, dans le langage des Indiens Pawnees et celui des Arikaras. Oscar ou pas Oscar, personne ne pourra nous empêcher d’affirmer que Leonardo DiCaprio, aujourd’hui, est bien le plus grand acteur américain de sa génération et, qui sait, peut-être plus encore.

dicaprio-portrait-04
Django Unchained / Quentin Tarantino / 2012