De l’exigence

Rencontre avec Leonardo DiCaprio, acteur

Regard azur perçant, l’acteur défend son nouveau rôle choc, dans The Revenant d’Alejandro González Iñárritu, celui d’un trappeur laissé pour mort après l’attaque d’un grizzly, qui se relève envers et contre tous. Le fameux « rôle à Oscar » que tout le monde attendait pour lui, sûrement. Un film qui parle de nature humaine et sauvage surtout. L’occasion pour lui de défendre son métier et ses engagements.

Vous qui avez déjà joué beaucoup de personnages forts, qu’avez-vous appris sur vous-même avec celui-ci ?

À chaque rôle que vous acceptez, vous essayez de faire la meilleure préparation possible, en vous renseignant sur la période que vous allez « vivre », en essayant de vous mettre dans la tête du personnage… Mais cette expérience a été complètement unique pour nous tous, je pense que rien que l’acte de recréer l’histoire de cet homme, de s’immerger dans ce monde sauvage et hostile, de tenter de montrer ses luttes, à l’endroit même où elles se sont passées, a suffi a créer le film. D’une certaine façon, l’action a créé l’histoire. La performance silencieuse, interne, m’a permis de me reposer sur l’instinct beaucoup plus que d’habitude. La préparation s’est dissoute et tout est devenu question de poésie dans ce rapport entre Hugh Glass et la nature, toutes ces choses qui auraient pu lui ôter la vie, celles qui lui ont permis de survivre. C’est devenu quelque chose de différent, parce qu’on était sur place. C’est ce que j’ai vu dans les yeux d’Alejandro la première fois que je l’ai rencontré : qu’il voulait créer un réalisme extrême, qu’il avait envie d’explorer ces thèmes de la façon la plus forte possible, et que les réponses nous viendraient une fois sur place. Nous nous sommes juste mis en bonne position pour revivre la vie de cet homme.

Tout le monde parle, bien sûr, de la scène de l’attaque de l’ours…

Sans parler spécifiquement de la technique, je pense que les gens en parlent pour les bonnes raisons. Je pense  qu’Alejandro a réussi à filmer une scène de cinéma incomparable. Mais bien sûr, il y a beaucoup de choses qui ont été pensées en amont ; il ne m’a pas juste demandé de me faire voler à travers les bois !

C’est une histoire de l’homme contre la bête ; on sent les choses se passer sur la lentille de la caméra et on sent confusément qu’on est en train de regarder quelque chose qu’on ne devrait pas voir. Mais ce sont des semaines de préparation et de répétitions pour donner quelque chose d’aussi viscéral, où les effets spéciaux sont là juste pour créer une expérience encore plus immersive. Et c’est aussi pour cela que ça choque : on a l’habitude d’effets où les choses sont sans poids, elles flottent dans l’image. Ici il s’agissait d’ajouter du poids, d’ancrer cette expérience dans le sol. Je n’ai pas vu beaucoup de séquences comme celles-là dans l’histoire du cinéma ! C’est une séquence qui montre l’homme victime de quelque chose de beaucoup plus puissant que lui.

Vous vous êtes aussi rapproché de la culture native indienne. Était-ce important de pouvoir, par exemple, parler leur langue ?

Plus que de parler indien, ce qui était intéressant et utile au film était de comprendre combien on leur avait arraché une part de leur culture. En faisant ce film, nous avons compris beaucoup de chose de l’Histoire… Nous pensons toujours que nous apprenons de l’Histoire. Que nous ne ferons plus les mêmes erreurs. Mais j’ai fait, en même temps que ce film, un documentaire sur le changement climatique, et j’ai été conduit à aller dans divers coins du monde.
Et de par le monde, on voit des cultures entières qui sont déplacées à cause du capitalisme, un capitalisme qui va dans des endroits d’une beauté immense tenter d’extraire des ressources naturelles, sans se demander à quel prix. The Revenant, c’est l’histoire de la première conquête de l’Ouest : elle est barbare, mais en réalité elle est en train de se passer de la même façon, à une échelle beaucoup plus grande, partout à travers le monde. Des compagnies ne respectent pas la nature, coupent les arbres, empoisonnent les rivières et tuent le monde naturel… C’est ce qui me fascinait en faisant ce film ; la façon dont il résonne aujourd’hui.

Est-ce important pour vous de porter à travers vos films ce message écologique qui vous tient à cœur ?

J’aimerais trouver plus de films aux messages écologiques. Mais je pense qu’en fait je choisis des films qui donnent un point de vue sur l’humanité. C’est ce qui m’intéresse. Des films qui nous rapprochent d’une compréhension de la condition humaine, et souvent c’est une question qui apparaît dans les conditions extrêmes. Je cherche encore le film qui sera basé sur des considérations écologiques, et je ne sais pas s’il faudra qu’il soit placé dans le futur, le passé… Sans oublier qu’il faut qu’il soit intéressant d’un point de vue narratif. Je ne ferais pas un film juste parce qu’il a les bons thèmes. Parler de la science derrière le changement climatique est déjà assez compliqué… L’intégrer dans un film sans parler de vagues géantes qui détruisent l’Empire State Building… Il faut qu’il soit assez réel pour que tous comprennent comment ces questions vont changer les millions d’années à venir. C’est pour cela qu’un documentaire me semblait la bonne façon de faire, en allant partout sur la planète, en parlant aux politiques, aux scientifiques. Le but est de rappeler que le changement climatique est la plus grande crise existentielle de notre espèce, que nous allons devoir nous en occuper tous ensemble, et il faut comprendre que ce n’est pas une question d’individu, mais de  « nous », de ce que « nous » allons devoir faire.

Est-ce qu’il y a des moments, sur ce tournage difficile en pleine nature, où vous vous êtes dit que vous aviez sous-estimé cette aventure ?

Nous avions tous sous-estimé cette aventure ! J’ai fait ce film parce que je voulais vraiment travailler avec Alejandro. Il n’a pas cessé de poser des défis tout au long du tournage, pour lui et pour nous. Depuis le tournage de la scène d’ouverture, qui a pris des semaines de répétitions, nous savions qu’il avait mis la barre très haut. Et qu’il faudrait continuer à avoir cette excellence. Cela, plus le fait que nous étions sur site, dans des conditions extrêmes, que nous tournions en lumière naturelle, que parfois la météo nous forçait à nous arrêter pour plusieurs semaines. Tout cela a fait de ce film l’expérience professionnelle la plus difficile de ma carrière. Quant à la difficulté de faire ce film… Ça reste notre métier, c’est ce que nous faisons.

À chaque fois que j’entends quelqu’un dire qu’un réalisateur en demande trop à ses acteurs, à son équipe, ça me donne envie de m’interposer, de dire « mais bien sûr, c’est exactement ce qu’on demande à son réalisateur ! ». On veut un réalisateur qui crée une expérience unique pour ses acteurs, nous permettant d’être complètement en immersion, et le voir penser à chacun des plans de son film. Il peint un portrait pour vous. J’ai fait tout ce qu’il me demandait, parce que sinon… Qu’est-ce qu’on foutrait là ?! Pour quoi d’autre s’est-on dit qu’on allait créer une œuvre d’art qui reste ? C’est beaucoup de boulot, et c’est ce qu’on attend d’un réalisateur, sinon c’est une perte de temps !