L’OVNI télévisuel de ce printemps est assurément ce conte des temps modernes que nous offre The Girlfriend Experience, une adaptation du film éponyme de 2009 de Steven Soderbergh. Un long-métrage médiocre sur la vie d’une escort girl, qui n’avait pas réussi à échapper au redondant de son sujet, s’essoufflant peu à peu dans un labyrinthe scénaristique, malgré le brio de la mise en image léchée de Soderbergh. Cette fois, le réalisateur ne participe que de loin à la série (crédité en tant que producteur exécutif) et laisse les manettes à deux jeunes auteurs : Amy Seimetz (également actrice dans The Killing, bientôt dans Alien : Covenant et qui joue ici la sœur de l’héroïne) et Lodge Kerrigan, déjà réalisateur d’un film sur le thème de la prostitution (Claire Dolan).
Écrit dans une veine très « cinéma indépendant », la série est beaucoup plus réaliste. Le personnage de l’actrice porno du long-métrage de Soderbergh fait place au portrait plus facilement identifiable de Christine Reade, une jeune femme active à l’apparence très banale, étudiante en droit le matin et stagiaire dans un grand cabinet d’avocats l’après-midi. Elle est un peu comme le personnage de Patrick Bateman d’American Psycho, mais en version féminine, et sans les meurtres ultra-violents du roman de Bret Easton Ellis. Christine ne tue pas, ne se drogue pas, ne fume pas, mais aime le sexe. Quand elle apprend que sa copine de classe est escort girl le soir, elle se dit tout simplement que lier l’utile à l’agréable l’aiderait à se trouver un appart et à s’élever plus vite dans l’échelle sociale. L’air de rien, Christine intègre une agence de call-girls de luxe à Chicago et nous l’accompagnons dans ses démêlés avec ses clients généralement quinquagénaires, mariés et richissimes. Mais aussi dans sa vie quotidienne d’étudiante en droit, toujours en retard et qui distend peu à peu ses liens avec sa famille. Nous la suivons également à son cabinet d’avocats, où elle enquête sur un détournement de fonds orchestré par son patron et client par la même occasion (Paul Sparks de House of Cards). Fort heureusement, les treize épisodes de The Girlfriend Experience sont courts (30 minutes), on évite ainsi l’overdose des scènes répétitives où se succèdent les verres, repas et jeux sexuels plus ou moins pervers.
Mais ne vous fiez pas aux bandes-annonces volontairement aguichantes, The Girlfriend Experience n’est pas une série au rythme effréné et les scènes de sexe ne sont visuellement pas plus explicites que dans un bon épisode de Game of Thrones, par exemple. Ce sont les situations qui sont souvent très crues, ainsi que la bande-son.
L’atmosphère glaciale de la série est accentuée par les dialogues cinglants de Christine : « Tout le monde est payé pour quelque chose, c’est l’économie. Je me vends peut-être, certes, mais je sais exactement ce que je vends, et eux savent exactement ce qu’ils achètent ! ». Il est vraiment difficile, justement, d’éprouver du plaisir à suivre les aventures sexuelles de Christine. Au fil des épisodes, le malaise s’installe, le spectateur devient voyeur : caméra cachée dans les recoins, filmant entre des chaises, des lattes de volets… les ébats, on suit Christine de dos, on ne voit qu’elle, la plupart du temps nue, même quand elle ne « travaille » pas… Et ce ne sont pas les décors des hôtels, chambres, bars et restos design, choisis minutieusement pour leur esthétique moderne, blanche et surtout glaciale, qui vont vous aider à vous détacher de l’aura particulièrement dérangeante de l’héroïne.
Christine est omniprésente ; au début de la série, vous la trouvez jolie, un peu naïve et fragile, vous lui conseilleriez bien de ne pas faire du fric avec son corps, puis une espèce de distance se met en place, insidieuse au fil des rencontres tarifées, et lentement s’installe le renoncement, puis finalement l’indifférence.
C’est là toute la réussite de la série : ce personnage interprété remarquablement par Riley Keough (petite-fille d’Elvis Presley), aperçue dans Mad Max : Fury Road, avec ses faux airs de Kristen Stewart, pourrait être votre compagne, votre sœur ou votre fille, tellement elle semble familière. La voir se prostituer avec parfois une telle indifférence, comme si elle était devenue son propre jouet (elle aime se regarder en vidéo en train de se masturber !) est à vous glacer le sang. Pourtant elle ne semble pas « détraquée », ni perverse, encore moins soumise. C’est toujours elle qui finit par imposer ses règles, et quand une situation ne lui convient pas… elle s’en va. Tant pis si elle doit le regretter par la suite, comme lorsqu’un de ses clients diffuse la vidéo de leurs ébats à son travail, puis sur Internet et dans les médias, détruisant le peu qui lui restait de sa vie familiale. À la fin de la série, après son dernier orgasme, Christine semble sans vie, laissant le spectateur tout aussi desséché et frustré. Une chose est sûre : vous allez aimer détester cette série !
Laurent Koffel