The Crown Saison 4

Ultramoderne(s) solitude(s)

Plus que jamais au top et signée Peter Morgan, la quatrième saison de The Crown revient au politique avec Margaret Thatcher et à l’intime avec Lady Di. Brillantissime et toujours aussi addictif.

D’où vient que, faisant plutôt partie des régicides, l’on plébiscite cette série créée en 2016 et racontant par le menu le règne d’Élisabeth II d’Angleterre, de décennie en décennie ? Du mélange de l’historique et de l’intime, du petit et du grand, du trivial et du clinquant. Car la grande force de The Crown, depuis sa saison 1, est de (re)créer des personnages faisant partie de l’inconscient collectif : la reine, sa mère la Queen Mother, sa sœur la princesse Margaret, son époux le prince Philippe, ses quatre enfants – surtout les deux aînés -, Anne et Charles… Avec une qualité d’écriture impressionnante, un faste dans les décors et les costumes jamais démenti, une mise en scène et un montage aussi fluides que rapides.

Cette quatrième saison, dont le fil rouge est, bien sûr, la monarchie et sa souveraineté maintenue contre vents et marées, est aussi celle de la solitude, du chagrin sous les dorures. Et du poids de plus en plus lourd à porter, pour les membres de la famille royale, de ces traditions ancestrales et immuables dans un monde qui bouge. Depuis la première saison, Peter Morgan et ses coscénaristes travaillent la piste de l’abdication par amour d’Édouard VIII, qui précipita son frère George VI, puis la fille de celui-ci, Élisabeth, sur le trône. Empêchant ainsi les générations futures de laisser le sentiment amoureux diriger leur conduite. C’est ainsi que la princesse Margaret (Helena Bonham Carter, bouleversante), puis le prince Charles (Josh O’Connor, plus que valeureux dans un rôle très à charge), les deux grands personnages martyrs de la série, sont condamnés à rester dans le droit chemin, même si leur cœur les mène ailleurs. Cette saison est aussi celle d’un grave changement social et sociétal pour la Grande-Bretagne comme pour toute l’Europe, avec les conséquences du choc pétrolier, la fin du plein emploi. Et l’arrivée de la première femme Premier ministre, la conservatrice Margaret Thatcher, qui mena une politique ultralibérale accroissant encore les inégalités sociales.

The Crown Saison 4. Copyright : Des Willie / Netflix.

 

Incarnée par l’excellente Olivia Colman depuis la saison 3, la reine Élisabeth est, comme chaque fois, le centre et le pivot : elle vieillit, mais ne bouge pas. Calme et déterminée, sensible mais inflexible, elle n’est jamais à court d’arguments pour ramener tout son petit monde à la raison. Autour d’elle, la révolution n’aura pas lieu. Même si Thatcher (personnifiée avec une rigide folie proprement effrayante par Gillian Anderson) n’écoute qu’elle-même ; même si Lady Diana (à laquelle Emma Corrin confère une immédiate séduction, indiscutable et si douce) tente de faire entendre l’incompatibilité grandissante entre Charles, qui en aime une autre, et elle, qui l’aime follement, comme une enfant aux grands yeux émerveillés.

Tissant la narration sur la base des informations publiques et images célèbres (et ces années 1980/90 sont propices à des photos emblématiques, notamment de Diana, dont le souvenir est gravé dans les têtes les plus rétives), le scénario s’engouffre également dans tous les vides, brodant allègrement pour faire « fictionner » la reconstitution. Sans trace des hebdomadaires séances à huis clos entre la reine et sa Première ministre, sans certitudes sur les échanges intimes entre le prince Charles et celle qu’on le force à épouser, il est possible de faire passer quelques messages originaux, dont le plus surprenant est sans doute cette hypothèse d’une entente féminine malgré tout, voire même d’un rapprochement final, entre Élisabeth et Thatcher. C’est ce qui donne à la série sa puissance et, bizarrement, sa légitimité… et énerve visiblement la Couronne d’Angleterre, qui se manifeste pour la première fois en demandant que chaque épisode soit précédé d’un avertissement concernant la non-véracité du récit. Quoi qu’il en soit, ce mélange fonctionne et donne à The Crown son aura romanesque. Et addictive : la question du vrai et du faux titillant nos emballements. Ainsi, l’épisode 5 est l’un des plus beaux et des plus émouvants. Il raconte un fait avéré — la visite nocturne (et par deux fois) du palais de Buckingham par un homme désespéré — et imagine le face-à-face de ce chômeur et père divorcé avec la reine en chemise de nuit. Donnant par là même sa voix au peuple, la série amorce le virage nécessaire de cette décennie. Est-ce utile de préciser qu’on attend la suite avec une certaine impatience ?