Tous écrans…et au-delà

Brève expédition en territoires virtuels, à Genève

J’AI HORREUR DE LA 3D. Les lunettes sont lourdes et pour un rendu optimum, il faut s’installer au milieu de la salle avec tous les autres spectateurs. Alors que j’aime être collée à l’écran, le plus à l’écart possible de mes congénères. En plus, rien à faire, où que je sois assise, mon œil ne s’accommode pas, je passe mon temps à essayer de faire la mise au point. En général, je quitte la salle au bout d’une demi-heure.

Ce préambule pour expliquer mes préventions lorsque j’ai entendu parler pour la première fois des casques de réalité virtuelle en 360°. C’était il y a à peu près un an et, malgré l’enthousiasme de l’ami qui m’en vantait les mérites, j’ai fait l’impasse. Jusqu’à ce qu’il me colle un Oculus rift sur le crâne et que je me retrouve au cœur de la Zombie Walk 2015 de Strasbourg. Ah oui, quand même… Waouh !

Et c’est à ce moment-là qu’est arrivée, à point nommé, la programmation de la 21ème édition du Geneva International Film Festival Tous Écrans (du 6 au 14 novembre 2015), avec sa section « Virtual Territories » : Ohhhh, tout plein de propositions en 360° à tester !


Direction Genève pour 24h


 

Tous Écrans, comme son nom l’indique, met en avant des œuvres conçues pour le cinéma, mais aussi la télévision. Et puis le Web. Et maintenant les casques VR. Cette année, il y avait également un dôme géodésique, ce qui a poussé l’un des conférenciers, le passionnant Pedro Diaz, à revoir le logo du festival : un rond pour encercler les carrés imbriqués.

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Vue extérieure du dôme géodésique

Et là, je me retiens fort de digresser vers la thématique Fulldome, qui, comme les casques VR, fonctionne à (presque) 360°. Non, de la constance : passez-moi ce casque, s’il vous plaît ! Pour me mettre en jambes – c’est le cas de le dire –, j’ai commencé mon exploration par THE ENEMY. Encore à l’état de prototype, ce projet journalistique permet de se déplacer physiquement dans un espace soigneusement délimité. D’abord on déambule dans une pièce virtuelle où sont accrochées des photos qui dressent les grandes lignes du conflit israélo-palestinien : il faut aller y voir de plus près pour découvrir des informations complémentaires. Cet exercice permet d’apprivoiser l’espace et les mouvements.

Puis deux personnages antagonistes se matérialisent de part et d’autre de la pièce. Un soldat israélien et un soldat palestinien se font face et répondent à tour de rôle aux questions que leur pose l’auteur du projet, Karim Ben Khelifa. Libre à nous de nous tourner vers l’un, puis l’autre, de les approcher, de les contourner, d’essayer de les toucher : ils nous suivent des yeux et ont un léger mouvement de recul si on vient trop près d’eux… C’est bluffant.

Mais concernant la finalité du projet, un peu contre-productif en ce qui me concerne : comme c’était seulement ma seconde expérience, la forme l’a emporté sur le fond et, distraite, je n’ai pas vraiment réussi à écouter ce que disaient ces ennemis…

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THE ENEMY – affiche

N’étant de toute façon pas d’emblée acquise à l’idée de « journalisme immersif », je suis ensuite allée me faire une idée sur la question à une table ronde dédiée au sujet. Les producteurs de THE ENEMY y siégeaient, ainsi qu’une développeuse de projets de la BBC… À l’issue de la conversation, je reste pour l’instant sceptique sur une vraie plus-value digne et pertinente de cet outil dans le domaine journalistique.

En revanche, un des intervenants, dont la démarche est un peu différente, m’a donné très envie de voir son film.  Chose que j’ai faite dans la foulée.

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La table ronde consacrée au journalisme immersif

Oscar Raby, artiste multimédia, est l’auteur d’Assent où il invite son père (nous nous retrouvons à la place de cet homme) à le rejoindre dans son atelier. Et il le questionne sur son implication dans les escadrons de la mort, au Chili, en 1973. Là, pour le coup, le voyage est difficile à décrire en quelques mots, c’est en tout cas ce que j’ai vu de plus sophistiqué en termes de narration, et peut-être aussi de navigation, puisqu’on se déplace grâce à nos yeux : il faut repérer des points plus lumineux dans ces environnements à 360° et les fixer suffisamment longtemps pour accéder à la suite du récit…

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Un aperçu de l’intérieur de Assent

Dans un tout autre genre, j’ai aussi beaucoup aimé, énormément même, Jusqu’ici de Vincent Morisset : une hypnotisante promenade en forêt où l’on avance grâce à une manette. Bizarre, drôle, prenant et pas racontable, tellement c’est de l’ordre de l’expérience.

Expérience encore, et je m’en faisais une joie, Viens de Michel Reilhac. Malheureusement, comme une nouille, j’ai réussi à me gâcher deux films d’un coup : fausse manipulation, j’en ai lancé deux simultanément sans m’en rendre compte, ce qui fait que pour accompagner les corps nus, enlacés, désirants et désirés de Viens… j’avais un commentaire sur une ville syrienne dévastée ! Perplexité, malaise. Jusqu’à ce que je devine ce qui s’était passé. Du coup, j’ai laissé tombé l’orgie, j’ai essayé la Syrie en guerre, mais le cœur n’y était plus…

Besoin de réconfort, de sécurité ? Oculus – protect your child est là ! Ça dure une minute trente, c’est marrant, et finalement moins potache qu’il n’y paraît. Nous sommes dans la position d’un bambin dans sa poussette, en promenade au parc. Si on tourne la tête, on peut voir maman derrière nous, tandis que, devant, un monsieur et une dame nous démontrent qu’Oculus peut protéger nos petits yeux innocents des horreurs du monde : deux types qui se battent sur la pelouse sont transformés en personnages roses et souriants, une passante habillée « comme une pute » est pixellisée, etc. Hum, vous voyez les questions, critiques et contre-critiques que ça soulève ?

Voilà. Ce sont, en vrac, les œuvres qui m’ont le plus marquée. Il en y avait évidemment beaucoup d’autres (une bonne vingtaine) ; des immersions journalistiques ou documentaires, mais où, comme dit plus haut, j’ai eu du mal à ressentir cette fameuse ‘empathie’ tant mise en avant ; des invitations à des concerts et leurs coulisses ; des virées dans des parcs jurassiques, des hôpitaux psychiatriques (Catatonic de Guy Shelmerdine = hyper efficace dans le genre train fantôme !)… Bref, le médium n’en est qu’à ses débuts et il y en a déjà pour tous les goûts.


Et ça va sinon ?


 

Alors oui, après chaque session d’une petite heure maximum, une fois le casque ôté, on a un masque de raton laveur incrusté dans la peau et le nez plus ou moins cabossé. Il se peut aussi qu’on ait vaguement la nausée à force de se faire balader et/ou de gigoter dans tous les sens (super système de sièges suspendus qui permettent de faire un tour complet !).
Mais, contrairement à la 3D qui stagne depuis des décennies, j’ai confiance en une très rapide éradication de ces petits désagréments.